


Tous droits réservés. Ce livre, ou quelque partie que ce soit, ne peut être reproduit de quelque manière que ce soit sans la permission écrite de l’éditeur.
Ce livre est une iction. Les noms, caractères, pro essions, lieux, événements ou incidents sont les produits de l’imagination de l’auteur utilisés de manière ictive. Toute ressemblance avec des personnages réels, vivants ou morts, serait totalement ortuite.
© Adèle Ninay, 2020
Collection Ne Romance® créée par Hugues de Saint Vincent
Collection Ne Romance® dirigée par Arthur de Saint Vincent
Ouvrage dirigé par Alice Serverin
Image de couverture : © Shutterstock Motortion Films
Couverture : Camille Decoster
© 2020, Ne Romance®, département de Hugo Publishing
34-36 rue La Pérouse
75116 Paris
.hugoetcie. r
ISBN : 9782755649680
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
Aux banlieusards.
« Il faut avoir une musique en soi pour faire danser le monde. »
N IETZSCHE
S OMMAIRE
Titre Copyright Dédicace Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Épilogue Remerciements
CAMILLE
– Qu’est-ce qu’elle out là, elle ? Mouss, c’est qui cette meu ?
Le gars avec sa coupe a ro, a alé sur le canapé en cuir pourrave, scotché sur son téléphone depuis que e suis entrée dans le studio, lève la tête de son écran et me regarde, surpris. Il a l’air de penser que e suis apparue à l’instant devant lui. Comme par magie. La pièce n’est pourtant pas grande et ’ai dû l’en amber pour arriver là où e suis. Il hausse les épaules.
– Aucune idée.
Je regarde le ameux Mike, urax, derrière la vitre de la cabine d’enregistrement. Il vient de m’a icher devant les trois mecs qui sont là. Il aut que e trouve quelque chose à répondre. Vite. Vite. Vite. Il a beau avoir l’air un peu plus eune que moi, il m’impressionne quand même avec sa voix grave et son ton agressi . Il en met un temps, Sylvain, pour revenir. Je décide de aire simple. Tant pis pour le sens de la repartie !
– Salut, e m’appelle Camille, e suis la copine de Sylvain. Il m’a dit de passer le prendre au studio.
Je n’ai pas réussi mon coup parce qu’il a l’air encore plus énervé. Sous la visière de sa casquette, ses yeux noirs me paraissent plus sombres que tout à l’heure.
– C’est quoi ce délire, sérieux ? Il est où Sylvain ?
– Aux chiottes, e crois, répond Mouss.
– Il ramène pas ses pétasses ici quand on bosse ! Y’a pas moyen ! – De quoi ? C’est moi la pétasse ?
Il commence sérieusement à me saouler lui. Il se prend pour qui ? Le gars a ait quelques morceaux que sûrement seuls les mecs d’Al ortville connaissent et il se la oue ? Et encore, il n’y a probablement que les lascars de son quartier qui ont une idée de qui il est et de ce qu’il ait.
Heureusement, un rebeu tout sec, visiblement plus âgé que les autres, vient à mon secours. Il est habillé plutôt classe et paraît asse posé. J’ai l’impression qu’il est plus sociable que ses camarades. Ça doit être le manager ou quelque chose dans le genre. – C’est bon Mike, c’est la meu de Sylvain, elle est uste venue le chercher. Calme-toi !
Le bloc de ner s continue de gueuler derrière sa vitre sans amais s’adresser à moi.
– Rien à outre, Mehdi ! Elle se casse !
– T’inquiète pas, le peu que ’ai entendu me donne pas spécialement envie de rester t’écouter.
Les trois gars présents dans la pièce éclatent de rire.
– Ouch ! Fais ga e Mike, elle sort les crocs !
– Elle est sérieuse là ?
Cette ois, il me parle rontalement. Et il me erait presque peur. – T’es che moi ici, OK ? Alors, tu dégages !
Un des mecs, celui qui n’a encore rien dit, me mate en silence en se balançant de gauche à droite sur son auteuil à roulettes. Je devrais dire qu’il me désape du regard, en vrai. C’est le genre beau gosse de la cité, habillé en Lacoste, mani estement très sûr de son charme.
Quand Sylvain entre en in dans la pièce, il capte tout de suite la tension dans l’air.
– Ça va, Camille ?
– Pas trop, non. Je t’attends dehors.
– OK, on a bientôt ini, t’inquiète… désolé.
Je sors de ce studio crado qui pue le tabac roid et la eed pour l’attendre dans le couloir. Même la porte ermée, ’entends encore Mike qui hurle.
– Tu ramènes pas tes petites bourges ici quand ’enregistre !
– Désolé Mike. Elle est uste passée me prendre. On se ait le deuxième couplet ?
– Nan, c’est bon on arrête pour ce soir, vous m’ave saoulé !
Ça ait à peu près deux semaines que e sors avec Sylvain. On s’est rencontrés dans une soirée du Rex club où Fanny, ma meilleure amie, aisait un DJ set. C’est lui qui était à la régie. Il est étudiant en école d’ingé son et bosse souvent le eek-end pour aider des potes. Plutôt pour du live alors qu’il pré ère le studio, mais ça lui permet d’apprendre le métier et de gagner un peu d’argent quand le plan est payé.
Je suis restée usqu’à la in de cette soirée organisée par un des élèves de sa promo. La salle s’est vidée petit à petit pendant que e poireautais toute seule au bar en attendant Fanny. Sylvain remballait le matos. Il m’a vue, m’a o ert un verre. Puis deux, tout en me draguant ouvertement. Il m’a plu, avec sa petite gueule sympa. Son regard bleu perçant et doux m’a amadouée quasi instantanément. Il ressemble comme deux gouttes d’eau à ce ootballeur rançais dont ’ai oublié le nom… le petit blond. Il inspire la même con iance. Finalement, Fanny est repartie seule. Je suis restée avec Sylvain. On a discuté une bonne partie de la nuit. Ensuite, il m’a raccompagnée – ’habite à quelques rues du Rex. Il n’a rien tenté ce
soir-là. Même pas un baiser. Il m’a uste demandé mon numéro et on s’est revus quelques ours après.
Fanny, c’est mon amie depuis tou ours, depuis la deuxième année de maternelle exactement. C’est la seule que ’aie gardée après avoir quitté l’école « normale » pour entrer à celle de l’Opéra de Paris. J’avais neu ans. On vit toutes les deux dans le même immeuble, ça aide à garder le lien. Mais c’est loin d’être la seule raison qui explique qu’on est si proches. On s’entend vraiment bien, malgré nos di érences. Fanny est beaucoup plus cool que moi. Elle est étudiante en arts plastiques et ait la DJette dès qu’elle en a l’occasion. Elle est antasque et drôle. Elle s’autorise tout ce que e n’ose amais dire ou aire. Je l’adore.
Moi, e ais de la danse classique depuis que e suis toute petite et rien d’autre.
La danse, la danse et la danse.
Avec Sylvain, e ne sais pas trop ce que ça va donner. Mes histoires d’amour, quand ’en ai, ne durent amais trop longtemps. Dès l’instant où le mec comprend qu’il n’est pas mon principal centre d’intérêt, que la danse me prend tout mon temps, toute mon énergie, toute ma tête, il commence à s’impatienter puis à s’éloigner. Inévitablement. Je n’ai pas énormément d’expérience avec les garçons, mais ’ai quand même compris que la plupart des hommes ont besoin de beaucoup d’attention, qu’on les admire ou qu’on les ca ole. Comme les en ants.
Alors, même si Sylvain est sympa, doux, attentionné et qu’il a ses propres passions, e sais qu’il va vite se rendre compte que e n’ai pas asse de temps, ni même l’envie d’être avec lui comme il voudrait que e le sois.
Je danse à peu près huit heures par our la semaine. Et le eek- end, il y a les représentations et les répétitions. Je dois aire super
attention à mon sommeil donc e ne sors pas beaucoup. Je ne peux pas manger tout ce que e veux. Je ne bois quasiment amais d’alcool. Ma vie est régie par une discipline militaire. Par ois, ça me pèse un peu mais la plupart du temps, ’aime ça.
Je ne dois rien lâcher.
Je vise l’étoile, et c’est presque inaccessible.
MIKE
Je regarde Moussa tirer sur son oint, on dirait un gros nounours oncedé. C’est le mec le plus tranquille du monde.
Moi, e suis vénère parce que Sylvain a ramené cette meu che moi. Dans mon stud, sans rien me demander. Ça se ait pas sérieux. Je me casse le cul dans ce putain de supermarché pour payer le loyer, 200 balles par mois. Alors, oui, c’est che moi ici, putain ! C’est moi qui choisis qui entre ou pas. Ça peut paraître pas cher pour certains, 200 euros, mais pour moi c’est beaucoup. Bon, aut voir le lieu, c’est pas le studio de Jay Z, hein. C’est tout petit, à peine plus grand que ma chambre mais y’a une cabine. C’est pour ça que e l’ai pris. C’est Mehdi, mon manager, qui m’a ilé le plan. Il est pote avec le proprio. Le gars a plusieurs petits studios qu’il loue au black à des potes de potes.
Maintenant, e peux aire des maquettes qui sonnent. Au départ, e aisais tout dans ma piaule. Juste FL Studio et le micro de mon ordi, e trouvais mes prods mortelles. Mais quand e réécoute au ourd’hui, e me rends bien compte que c’était pas terrible. Fallait que e passe un cap. Obligé. Et puis, avec ma daronne, les voisins, c’était galère. Faut dire que le moment que e pré ère pour aire du son, c’est la nuit.
J’ai pu un peu équiper mon stud : un huit pistes, des enceintes et un bon micro, tout ça grâce à Skeem. C’est lui qui ait toutes mes instrus maintenant. C’est un sacré bon beatmaker, ce ils de pute. C’est encore Mehdi qui l’a déniché. Il pensait que ça collerait entre nous et ça a collé grave. Il a le sens de ça, Mehdi, aire se rencontrer les personnes qui vont itter.
Tout ça pour dire que Skeem a un pote qui bosse dans un grand magasin de ik vers La Villette. Le gars endort des tas de trucs qu’il revend pas cher. Je sais pas comment il s’est pas ait gauler parce qu’il en sort pour de la thune. Moi, au Franprix où e bosse, c’est même pas envisageable. Rien que si ’essaie de tirer un paquet de Granola, ’ai mon en oiré de responsable sur le dos.
Bre , ici c’est che moi et e charbonne dur pour que ça le reste, alors c’est pas pour que n’importe qui vienne squatter.
Je sais que e suis trop en colère tout le temps. Ma daronne elle dit à tout le monde que c’est depuis la mort de mon père que e suis devenu agressi . C’est son grand couplet. Elle me gave avec ça. Elle voudrait que ’aille poser mon cul sur le divan d’un psy… Mais sérieux ! Jamais e erais ça. C’est des baltringues ces mecs-là. Je le sais parce que la uge m’a orcé à en voir un, une ois. Je lui ai pas lâché un mot au gars. Rien.
Elle croit quoi, ma mère ? Qu’est-ce qu’il va me dire, son putain de psy ? Jeune homme, vous en voulez à la terre entière parce que votre père s’est pété la gueule gravement sur un chantier et que les assurances n’ont rien voulu payer… manque de pot, il avait pas choisi la bonne formule. Merci mec. Rien de tout ça ne m’avait échappé.
Elle a dé à pas de thunes, ma mère, e sais pas pourquoi elle veut absolument en iler à des connards pareils. Sa maille, elle va uste servir à ce que le type puisse emmener ses chiards skier à Avoria sur mon dos ou celui de gars dans mon genre. C’est mort. Je pré ère
iler mon blé à Moussa pour une bonne barrette. Ça au moins, ça me détend.
– T’as ma livraison Mouss ?
– Demain rère ! Mais tiens ! Si tu veux, ’ai un peu de eed, e te dépanne…
Il me tend un petit sachet qu’il sort de sa banane imitation Gucci ramenée du bled par Mehdi l’été dernier.
– Putain ! Je te ure, cette meu elle m’a saoulé.
– Elle est venue chercher son mec, gros, c’est tout !
– Ouais e sais, mais t’as vu son air de bourge, là ? Elle se la oue princesse, c’est sûr et certain. Je supporte pas ces meu s-là qui viennent traîner dans les quartiers pour se aire croire qu’elles vivent des trucs dangereux…
Moussa m’adresse un petit sourire genre « laisse tomber, mec ». Et Skeem croit bon d’a outer un commentaire.
– En tout cas elle est bien bonnasse. Si c’était pas la meu de Sylvain, ’aurais essayé de la choper direct.
Je ais une mine dégoûtée.
– T’es sérieux ? Elle est toute keusse !
Moussa me tend son oint.
– Elle est olie quand même ! Elle a une belle tête. Et un bon boule tout erme.
– Clair ! Elle est raîche !
– Vous ave de drôles de goûts les gars.
Je tire une grosse ta e sur son bédo et garde la umée quelques secondes dans ma bouche avant de prendre une grande inspiration et de la recracher tout doucement. Après quatre bou ées, e me sens dé à un peu moins tendu.
CAMILLE
Quand on entre dans le resto où Sylvain a réservé, e suis tou ours énervée. J’ai du mal à redescendre. Son Mike, c’est vraiment un connard. Sylvain m’avait avertie que l’ambiance serait un peu « bonhomme », comme il dit, mais e ne m’attendais pas à me aire agresser comme ça, à peine arrivée. Je n’avais même pas prononcé un mot. J’étais uste là, dans mon coin – et e suis ce qu’on appelle une ille discrète.
En parcourant le menu des yeux à la recherche du truc le moins calorique possible – dans un resto italien, c’est un dé i –, e ne peux pas m’empêcher de parler de ce qu’il s’est passé au studio. J’ai rongé mon rein usque-là mais il aut que ça sorte.
– Dis donc, ton pote Mike, il est drôlement chaleureux !
Sylvain m’adresse un petit sourire gêné.
– Ouais… e suis désolé, Camille, ’aurais pas dû te demander de venir au studio. Je voulais te montrer un peu sur quoi e bosse en ce moment mais… c’était pas une bonne idée.
Je pose la carte sur l’assiette vide devant moi et le regarde dans les yeux.
– Excuse-moi de te demander ça, parce que c’est ton pote et tout mais… c’est pas un peu un gros con, quand même ?
Je vois bien qu’il est embêté. Prendre la dé ense de son copain ou me donner raison ? Il n’hésite pas longtemps et opte pour un entre- deux. La diplomatie.
– Faut le connaître…
– Il donne pas trop envie.
– Il est… comment dire ?
Il lève les yeux comme s’il cherchait la bonne dé inition à l’intérieur de lui-même. Comme si son Mike était un être hyper complexe et qu’il allait trouver les bons ad ecti s. Franchement, de mon côté, ’ai vite compris à qui ’avais a aire. Sylvain continue en agitant ses mains pour aire venir les mots ustes.
– Sauvage… un peu vénère… Mais c’est un bon gars. C’est vrai que ’aurais dû le prévenir que tu passerais. C’est che lui. En tout cas, désolé pour l’ambiance pourrie. Il est pas habitué à croiser des illes comme toi et…
– Quoi, des illes comme moi ?
Sur son visage, e peux clairement lire « Comment e vais me dépêtrer de ça, moi ? »
– Bah, tu vois… pour lui, t’es une sorte de bourgeoise…
– Mais e suis pas une bourgeoise !
C’est la seconde ois au ourd’hui qu’on me traite de bourgeoise. Je dis « traite », parce que e sens bien que ça a quelque chose de négati . Comme si ’étais du côté des méchants. On ne m’avait amais quali iée comme ça avant.
– Pour lui, si ! Dé à, tu vis à Paris. Rien que ça, ça ait de toi une bourge… pour lui, ’entends…
– Toi aussi, t’es un bourge à ce compte-là ! Et même pire, toi t’as ton propre appart.
– Ouais, mais moi e suis un dieu du son !
Je lui souris et décide de prendre un verre de vin pour une ois. Ça me détendra. Et puis e ne vais pas gâcher notre soirée à cause de son pote. Il n’en vaut pas la peine. Je la oue plus positive.
– D’ailleurs, tu ne m’as pas dit comment tu l’as rencontré.
– Facebook. Je le suis depuis un petit moment. Depuis ses premières mixtapes sur Soundcloud, en ait. C’est vraiment bien, ce qu’il ait. Il a un pur lo et ses textes sont mortels. Il a un univers à lui. C’est ghetto mais avec de l’humour. Tu vois ?
J’acquiesce, comme si ’avais une idée de ce que peut être le rap ghetto alors que ce n’est clairement pas le cas. Il poursuit :
– Je lui ai proposé qu’on se rencontre. Comme ’avais dé à mixé un pote rappeur qu’il connaissait de réputation, il a accepté. Le courant est plutôt bien passé et ’ai travaillé sur un de ses titres pour tester…
Le serveur nous interrompt pour nous demander si on souhaite prendre un apériti . J’hésite encore un peu pour le vin, parce que e sais que e vais le payer après, mais e cède.
– Un verre de chianti, s’il vous plaît.
– Pareil pour moi, merci !
Le serveur reprend la carte des vins et moi, le il de notre conversation.
– Et ça lui a plu…
– Exact. J’ai bossé sur pas mal de titres pour sa deuxième mixtape et là, e ais l’enregistrement pour son album. Il bosse avec Skeem, que t’as vu au stud tout à l’heure.
– Le brun avec la veste Lacoste ?
– Oui, c’est lui qui ait ses instrus. À eux deux, ils vont cartonner, c’est sûr. Bon, mais toi alors ? La danse ? Tu m’en as pas parlé tant que ça, à part pour me dire que ça t’empêcherait d’avoir du temps pour moi.
Il me sourit. Et la douceur de son sourire me ait penser que ça pourrait peut-être le aire, nous deux.
– La danse, ça va… Je commence à préparer le concours de promotion du ballet pour essayer d’obtenir une place de su et, mais c’est très di icile.
– C’est quoi « su et » ?
– Les su ets, c’est les danseurs en première ligne et ils dansent dé à des petits rôles, tu vois ? Et dès que t’es su et, tu peux être appelé sur des remplacements de soliste. C’est une sorte de test pour savoir si t’as les épaules pour des rôles plus importants.
– Ah ouais ! C’est comme à l’armée, t’as des grades et tout. – En quelque sorte.
– Et là, t’es quoi alors ?
– Je suis coryphée dans le corps de ballet. Je me onds dans le groupe…
– Moi, e suis sûr qu’on voit que toi ! C’est quand, ce ameux concours ?
– Fin novembre.
– C’est chaud ! C’est dans pas longtemps ! – Nan… Novembre de l’année prochaine. – Carrément ! Vous rigole pas à l’Opéra…
– Pas trop non, mais la carrière d’une danseuse, c’est ini passé quarante ans. Donc aut tout donner maintenant ! C’est pour ça que e te disais… ’ai pas beaucoup de place dans ma vie…
– J’ai compris, Camille, mais tu me plais beaucoup. Franchement, le ait que tu sois passionnée comme ça, que t’aies ton truc, e trouve ça mortel ustement. Et ’essaierais bien de me aire une petite place quand même.
MIKE
Je rentre che moi à pied depuis le studio, il pleut et ça me saoule. C’est une espèce de pluie de aux derche. Su isamment intense pour te aire chier, mais pas asse pour te tremper. Une pluie minable. Il est vingt-trois heures et ma mère va encore me prendre la tête. C’est pas un hôtel ici et blablabla. J’ai que vingt ans et e ais dé à du rap depuis un moment, mais ça me rapporte éro thune pour l’instant. Heureusement que ’ai ce boulot au Franprix de mon quartier. En plus de payer le loyer du studio, ça me permet d’aider un peu pour les courses. Sans ça, on peut dire que e lui apporterais que des problèmes, à ma daronne. En in, ce ta , c’est clairement pas un plan de carrière non plus. Ma seule porte de sortie de toute cette merde, c’est le rap. Alors, ’y vais à ond. Je ais que ça. J’écris, e ais des maquettes, ’enregistre, ’écris, e ais des maquettes, ’enregistre. En boucle.
J’ai la dalle. Je vais aller me chercher un kebab che le Turc, e passe devant de toute açon. Et ma daronne me prendra pas plus la tête si ’a oute un quart d’heure à mon retard. Ce sera le même tari . Sur place, y’a cet en oiré de Jalil. Je peux pas le blairer, ce mec. OK, e peux pas blairer grand monde, mais lui, c’est vraiment un sale
con. Le gars arrête pas de cracher sur moi. Il dit à qui veut l’entendre que mon lo est pété et que ’écris de la merde, mais devant moi il ait l’agneau. C’est vraiment un blaireau. Je sais qu’en vrai, il peut pas me saquer parce qu’au lycée, ’ai dépucelé la meu qu’il ki ait depuis l’école primaire. Moi, ’avais rien cherché, c’est elle qu’a envoyé sa copine pour me demander si e voulais sortir avec elle. Pas de raison de re user. Elle était mignonne et lui, ça a amais été mon pote. Il est un peu barge. Je comprends qu’elle lui ait tou ours mis des râteaux.
Je me souviens d’une ois, on était tous les trois dans la même classe en quatrième. Et le dernier our avant les vacances, il lui avait carrément coupé une grosse mèche de cheveux avec ses ciseaux. En classe, comme ça. Il avait pris sa queue-de-cheval et il avait taillé dedans. Il voulait avoir un souvenir d’elle, un truc dans le genre. C’était chelou. Elle avait grave chialé.
Je ressors avec mon kebab bien au chaud dans sa petite barquette en polystyrène. Jalil m’a ait un signe de tête pour me saluer et ’ai dû aire un e ort de ou pour lui répondre. Si e l’avais pas ait, e sais que e me serais pris la tête avec lui et ses potes. Il attend que ça. Et e dois me tenir à carreau pour ma daronne. J’ai ini trois ois en garde à vue pour des histoires de baston. Elle a dé à asse d’emmerdes comme ça.
À peine ’ai mis la clé dans la serrure que ’entends le son de la télé se couper. Elle va me prendre la tête, c’est sûr.
– Te voilà en in ! T’es vraiment pas sympa, Mickael ! Tu m’avais dit que tu mangeais avec moi.
Ma mère, c’est la seule personne sur cette terre qui m’appelle Mickael, en particulier quand elle est pas contente après moi.
– Je sais, mais ’en ai eu pour plus longtemps que prévu au stud. – Au studio… tu parles !
Elle m’énerve trop quand elle ait ça. Cet air-là. Genre « e te crois pas ». Et genre aussi « ton rap, là, c’est du temps perdu, tu erais mieux de te trouver un vrai boulot ». Je vois tout ça dans son putain d’air.
– Commence pas, s’il te plaît. Je te promets que e ta e dur pour aire quelque chose de bien.
– Je sais, mon ils, mais où ça va te mener ? Je m’inquiète, tu comprends. T’aurais pu aire tellement de choses…
– C’est bon… Arrête avec ça.
Je coupe court, e sais de quoi elle va me parler et ’ai pas envie d’entendre son re rain pour la cinquante milliardième ois. Elle a capté, elle change de su et. Elle sait qu’elle peut acilement perdre le contact avec moi.
– Lukas a appelé. Il passera demain pour le ca é avec sa nouvelle copine.
Lukas, c’est mon rangin. Il a huit ans de plus que moi. On est pas super proches du coup. Mais c’est mon grand rère et il nous aide vachement, ma mère et moi. Il travaille dans les déchets. C’est pas une blague. Il a un bon poste. Il est responsable du tri, e sais pas trop ce qu’il ait, mais il est pas mal payé. Il a un appart à Montreuil, une caisse et maintenant une meu .
– Chouette !
Ma daronne supporte pas mon ironie.
– Quoi ? C’est bien qu’il ait une iancée. Évidemment, toi, tu me ramènes amais personne.
– Parce que ’ai personne à ramener, tiens !
– T’as pas d’amoureuse ? Jamais ?
– M’man ! Même si ’en avais, e t’en parlerais pas.
Fin de la discussion. Je vais manger mon kebab.
CAMILLE
J’ai ait l’amour avec Sylvain. Et c’était plutôt bien. Hier, après notre sortie au resto, il m’a proposé de boire un verre che lui. Je savais pertinemment ce que ça sous-entendait. Deux semaines que e le aisais patienter, alors qu’on est plus des adolescents. Je voulais être sûre. De lui. De mon envie aussi.
J’ai vingt-quatre ans et ’ai couché avec trois mecs dans ma vie, en comptant Sylvain. Si ’en crois Fanny, c’est vraiment pas beaucoup. Moi, e trouve que c’est dé à pas mal, sachant que ’ai commencé à seulement dix-huit ans. Ma première ois, c’était avec Baptiste. Le rère d’un danseur de l’école de l’Opéra. Je suis restée deux mois avec lui. On a ini par aire l’amour dans sa chambre pendant les grandes vacances. J’étais pas vraiment amoureuse, mais ça, e l’ai compris qu’après. L’expérience ne m’a pas du tout plu. Rapide et douloureux. Une grande déception.
Et puis, e n’aime pas mon corps. Je veux dire, pour une danseuse classique, mon corps est très bien, il a tou ours été pile dans les grilles de mensurations de l’Opéra, mais il n’est pas sensuel. Il sou re, il est noueux, musclé. Mes pieds sont tou ours abîmés. J’ai beau mettre des pansements et entourer mes orteils de bandes et de
protections diverses, mes pieds inissent tou ours blessés. Des années que e n’ose plus les montrer. Jamais de chaussures ouvertes l’été. Mais le number one sur la liste de mes complexes, c’est que e n’ai pas beaucoup de seins. Je dois bien avoir le gène quelque part parce que ma mère a une belle poitrine généreuse mais la danse a stoppé lentement et sûrement le développement de mes ormes. Pour la danse, c’est un vrai avantage cela dit.
Mon corps, c’est un outil et ’ai par ois du mal à l’envisager autrement.
Cette nuit, Sylvain a été comme e m’y attendais. Doux, délicat. C’était agréable. J’ai dormi che lui et ce matin, e me sens bien. Je précise que e suis plutôt du genre à ne pas tou ours me sentir bien. À me gâcher le plaisir. Sans trop savoir pourquoi. Jamais bien à ma place. Le gène de l’angoisse. Qui me vient aussi de ma mère, sau que celui-ci, la danse ne l’a pas empêché de se développer. Bien au contraire. Cette putain d’angoisse qui vous assaille comme ça, sans prévenir. N’importe où, n’importe quand.
Heureusement, et paradoxalement, ’ai hérité de l’optimisme et de la bonne humeur de ma grand-mère. Tout ça ait de moi une ille torturée et oyeuse à la ois.
Comme chaque matin, e me lève en m’étirant comme un chat. Pas un seul réveil sans que e sente la douleur des e orts de la veille. Sou rir et danser est presque indissociable. C’est la preuve qu’on y est, qu’on se donne à ond. J’entends du bruit dans la cuisine. Sylvain est en train de préparer le petit dé euner.
– T’as bien dormi ?
Je lui réponds tout en m’attachant les cheveux avec l’élastique que ’ai tou ours au poignet.
– Oui, un peu trop même. Désolée, e suis crevée en ce moment. Et e ne bois pas souvent du vin…
Je m’assois sur l’accoudoir de son mini-canapé pendant qu’il s’agite dans le coin cuisine. Il vit dans un tout petit deux-pièces mais plutôt bien pensé. Murs blancs, une minuscule chambre dans laquelle son grand lit tient tout uste, une micro-salle de douche avec un lavabo et, dans la pièce de vie, deux tréteaux avec une planche sur laquelle est posé son matos pour aire du son. Le tout dans une déco très minimaliste. Pas de déco du tout, à vrai dire. Sylvain lève vers moi un regard étonné.
– T’as bu un seul verre.
– Je sais, mais c’est tellement exceptionnel que ça me ait beaucoup d’e et !
Il me ait un petit sourire.
– C’est pour ça que t’as bien voulu rester cette nuit, alors ? – T’es bête ! Il est quelle heure ?
– Dix heures et demie.
Je me lève d’un bond. Un compte à rebours a démarré dans ma tête.
– Merde ! Je dois être à Garnier dans une demi-heure !
– Un dimanche matin ?
– Oui, un dimanche matin ! Désolée, Sylvain, il va alloir que e saute le petit dé et que e ile à la douche. De che toi, ’ai bien un quart d’heure de métro.
– Je pensais qu’on allait passer la ournée ensemble…
Je commence à ramasser mes a aires éparpillées dans la chambre. Heureusement, ’avais mon sac de danse avec moi. Je revenais de ma répétition quand ’ai re oint Sylvain au studio de son pote.
Il avait l’air tellement enthousiaste à l’idée de me montrer ce qu’il ait que e n’ai pas pu re user. Et puis, même si passer le périph, pour un Parisien, c’est tou ours une grande aventure, c’est seulement
à deux stations de RER de Châtelet. Et à cinq minutes de marche une ois à la gare d’Al ortville.
– Désolée, mais e répète souvent le dimanche. Je pensais te l’avoir dit. J’ai oublié de mettre l’alarme sur mon téléphone, heureusement que tu t’es réveillé, toi !
– Si on veut…
– Fais pas la tête, on se voit ce soir si tu…
Et là e repense à la répétition pour le prochain ballet.
– Ah mais non ! J’ai ma répète, c’est vrai…
– E ectivement, tu m’avais pas menti, y’a pas beaucoup de place… Tu uis pas à cause de cette nuit ’espère ?
– Mais pas du tout ! Je suis contente d’avoir passé la nuit avec toi.
Je n’ai pas trop le temps de parler mais e ne peux pas non plus iler comme une voleuse. Alors e ais comme si e n’étais pas en train d’évaluer dans ma tête le temps que me prend cette discussion. On doit en être à quatre minutes. Je sais, c’est horrible de penser comme ça. Sylvain est un mec bien et il me plaît mais si ’ai ne serait-ce que cinq minutes de retard, le maître de ballet le remarquera et tout compte, pour le concours. Les rumeurs courent très vite à l’Opéra. Il su it de deux ou trois retards pour aire de vous une e-m’en- outiste reconnue.
– Sinon demain soir… c’est lundi. J’ai rien le lundi soir ! Tu serais dispo ?
– Ouais… ah non ! Merde ! C’est le concert de Mike. Je le dépanne parce que son gars qui lui ait le son pour ses concerts l’a planté.
– OK, pas grave… on s’appelle lundi et on voit quand on peut ? Il aut vraiment que ’y aille.
– Viens au concert, sinon ?
– Le concert de l’autre, là, qui m’a virée de son studio ?
– Vous vous verre pas. Tu resteras à côté de moi, comme ça, on sera quand même ensemble et tu pourras dormir à la maison.
– Bon, OK ! Si tu veux. Je ile.
MIKE
– Ouais, ouais, check ! Check ! Ouais !
– C’est bon pour la voix Mike. Vas-y, lance ton instru que e voie les niveaux…
J’aime bien aire les balances. T’es sur la scène avec personne pour te mater à part ton ingé, le gars qui ait les lights et quelques mecs qui traînent là. Pas grand monde, quoi.
Ta voix qui résonne dans toute la salle. Les basses qui ont vibrer les murs rien que pour toi. Et puis, l’excitation d’avant concert. C’est comme la drague avant la baise.
– Tu t’entends asse , là, dans les retours ?
Sylvain parle dans son micro depuis la table de mixage, au ond de la salle, et e l’entends dans les enceintes qui sont uste à mes pieds sur la scène.
– Yes ! C’est bon, mec.
– T’as asse d’instru ou tu veux que e la monte un peu ?
– Nan, c’est nickel ! C’est comment, dans la salle ?
– Ça envoie ! Franchement, les mix de Skeem rendent super bien. Ce sera encore mieux quand la salle sera pleine. Faut un peu de gens pour absorber ces putains d’in rabasses.
– Il devrait y avoir du people ce soir. Ils vont absorber, t’inquiète !
– Ça va le aire grave, Mike, ’ai hâte ! Il dure combien de temps, ton set ?
– Vingt minutes.
C’est pas beaucoup, vingt minutes, ’ai le temps de placer quatre morceaux et basta. Faut que e déchire ce soir. Mehdi m’a mis la pression parce qu’il vient avec des mecs d’Universal. Il leur a ait écouter des tracks et ça les a su isamment motivés pour bouger leurs culs usqu’à Ris-Orangis un lundi soir. En vrai, e m’en bats les couilles, d’Universal, mais c’est le game. Faut que e passe par ces gars-là si e veux aire quelque chose avec mon rap. L’idée de Mehdi, c’est de signer en édition avec eux et qu’à côté, on monte un label tous les deux. Il veut garder la main sur le pro et et sur les thunes. Heureusement que Sylvain est là pour ce concert parce qu’Ayoub m’a planté comme un gros bâtard qu’il est. Après avoir ini les réglages, e saute en bas de la scène pour le re oindre dans la salle.
– Merci mec pour ce soir. Sans toi, ’étais trop dans la merde ! Je sais que la scène, c’est pas trop ton truc…
– Pas de soucis ! Ça me ait plaisir.
– Je voulais te dire aussi, désolé pour samedi, pour ta meu ! J’ai pas été très cool mais tu me connais…
– Tu me l’as un peu traumatisée. Elle était super vénère.
– On sent que y’a du caractère sous la glace, sûr que c’est une casse-couilles. En in, e dis ça… c’est pas pour te aire chier ou quoi. – C’est tout récent, mais elle est plutôt cool en vrai… Elle vient
ce soir ustement.
– C’est que e l’ai pas tant traumatisée que ça alors ! On va becqueter ?
– Yes !
Le concert commence dans une heure. Je suis avec Sylvain en train de umer une clope devant la salle quand on voit arriver sa meu . En in, lui, il ume une clope et moi, de la beuh. Je suis tellement au taquet avant les concerts qu’il me aut tou ours un truc pour me calmer.
Elle marche vraiment comme une bourgeoise, cette ille. Toute droite. On dirait qu’elle a été élevée par des châtelains. Elle a dû se dire qu’il allait se la ouer cool parce qu’elle porte une sorte de ogging noir un peu chicos. J’aime pas ce genre de meu qui se la raconte uste parce qu’elle est née du bon côté.
Elle a l’air saoulée en me voyant. Je le capte direct mais e m’excuse pas pour la dernière ois. J’en ai rien à outre de cette gourdasse. Si elle est pas contente, ça m’empêchera pas de dormir.
CAMILLE
On est plongés dans le noir, il y a comme un rémissement dans la salle. Deux rappeurs sont passés et c’est au tour de Mike. Je crois que c’est le dernier à ouer. Clairement, il y a pas mal de gens qui sont venus le voir, lui. L’excitation est palpable. Son premier morceau démarre lumières éteintes, les basses ont vibrer mon corps tout entier. Sylvain s’agite sur sa grosse table de mixage. Il tourne des boutons dans tous les sens. Des voyants verts, aunes et rouges bougent sur sa console. C’est oli. Je sais pas trop ce qu’il ait, mais il le ait à ond. Implication totale.
Mike entre sur scène comme un guerrier. Je ne peux pas blairer ce type mais ’avoue qu’il a une présence, rien à voir avec les mecs qui l’ont précédé. Il est habillé comme la première ois que e l’ai vu dans son studio. Tee-shirt et ean noirs. Ses cheveux bruns, longs usqu’au cou, sont détachés sous sa casquette, noire, elle aussi. Il est plutôt grand, sec et nerveux. Il en impose. Dès qu’on entend le son de sa voix, des lumières rouges, en contre, dessinent sa silhouette et battent au rythme de la musique. Les gens sont déchaînés.
Plein phare sur lui. Sa voix grave et aiguisée balance toute la rage que contiennent ses textes. Le public n’attendait que ça. Mike sait très bien ce qu’il ait. Il a le pouvoir.
Moi qui suis habituée à observer les corps bouger, e vois que celui de Mike est tendu de la tête aux pieds, comme celui d’un boxeur prêt à balancer un uppercut. Rassemblé. Il rappe mais il n’utilise pas que sa voix, tous ses muscles sont sollicités. Je suis prête à parier qu’il se tape des méga courbatures après ses concerts. Le public crie. Les spectateurs sont conquis, en redemandent. Mike les chau e au ur et à mesure des morceaux. J’ai l’impression que quoi qu’il asse, ils seront en transe. Sur le dernier titre, pogo général. Je pensais que ce genre de ballet était réservé au public des concerts punk ou rock. La salle est plutôt petite mais pleine à craquer. Ça se bouscule dans tous les sens. Il se passe quelque chose de ort, c’est évident.
– Alors comment t’as trouvé ?
– Bien ! J’ai trouvé ça vraiment bien !
– C’était mortel, tu veux dire ! La pression, ça lui réussit grave ! Et le public était chaud. C’était vraiment la an base, ce soir ! Sylvain a une admiration sans borne pour Mike. Je m’en rends compte à cet instant précis.
– Pourquoi la pression ?
– Y’avait des mecs d’Universal dans le public qui sont venus pour le voir. Tu m’attends là ou tu viens avec moi dans les loges ?
– Je vais rester là, c’est plus prudent. J’ai pas envie de me aire mordre.
La salle s’est vidée et e suis là comme une conne à attendre Sylvain à côté de la table de mixage. Ça ait bien vingt minutes qu’il est parti re oindre Mike. Il ne répond pas sur son portable. Je ne voulais pas aire ma reloue mais e vais essayer de le trouver quand même. Avec le pass autour du cou, il m’a dit que e pouvais aller partout. Je me dirige derrière la scène et e trouve un long couloir
aux murs noirs. Au bout, une porte entrouverte d’où s’échappe de la musique. C’est sûrement là.
Quand e pousse la porte, e tombe sur Mike allongé sur un canapé, une ille en souti à cali ourchon sur lui, en train de lui rouler des pelles avec rénésie. Il me regarde et e vois la colère dans ses yeux.
– Qu’est-ce que tu ous là, bordel ? Décidément, je tombe toujours bien. – Désolée, e cherchais Sylvain.
– Il est pas là tu vois bien ! Casse-toi !
Tou ours aussi aimable !
Je claque la porte. Ce mec a le don de me mettre hors de moi. Je passe de l’autre côté de la scène et e trouve en in les bonnes loges. Sylvain est en train de discuter avec des gars qui, comme moi, n’ont pas l’air du coin. Sûrement les mecs de la maison de disque. Il me ait signe de le re oindre quand il me voit. Il me présente à eux, ce sont bien les gars d’Universal. Ils parlent tous de Mike avec enthousiasme. Ça a l’air bien parti pour lui.
J’ai envie de rentrer, e suis atiguée et e ne me sens pas à ma place ici. Comme souvent, mais là encore moins. Je suis venue en RER, il est tard et e n’ai plus asse de sous pour me aire un Uber depuis la banlieue. Les transports à cette heure-ci, ça craint. Je n’ai pas d’autre choix que d’attendre Sylvain.
Les écouter parler m’ennuie. Je inis par les laisser et e retourne dans la salle vide. J’ai bien envie de pro iter de tout cet espace pour réviser un peu la chorégraphie du ballet.
– Hé ho ? Y’a quelqu’un ?
J’attends quelques secondes. Pas de réponse. Je suis bien toute seule. Je retire ma veste de survêtement. J’ai, aux pieds, mes baskets de danse hyper souples. Elles me permettent de danser partout, à
l’improviste, comme au ourd’hui. Alors e les porte tout le temps, mais e pourrais aussi le aire pieds nus ou en chaussettes. C’est l’avantage de la danse, on n’a pas besoin de matériel. Il su it uste d’avoir envie de danser. Je prends appui sur le rebord de la scène comme sur une barre et e dessine des cercles de la tête pour commencer mon échau ement. Puis les pieds. Demi-pointe. Pointe. Les chevilles, les genoux, les hanches, le dos, les épaules, tout est étiré. Jamais un pas de danse sans m’être échau ée avant. Je branche mes écouteurs sur mon téléphone et ouille dans ma playlist à la recherche du morceau de Tchaïkovski sur lequel on travaille en ce moment.
MIKE
Je me casse de la loge après avoir ait la bise à la meu que e viens de me taper et dont e ne sais même pas le prénom. J’ai pas pensé à lui demander avant et ce serait un peu gênant de le aire maintenant. Je lui montre la porte pour sortir par l’arrière de la salle. Pas envie qu’elle me suive partout toute la soirée. Elle veut mon numéro mais e sais pertinemment qu’on se reverra pas. Elle me plaît pas plus que ça. Je veux dire, elle est mignonne et elle a des gros seins mais ça s’arrête là. Je lui ile un aux éro six. Elle était là au bon moment, c’est tout. C’est tellement bon, de baiser après un concert. T’as toute cette adrénaline qui court dans ton corps et c’est puissant.
J’arrive dans la salle et e tombe sur la meu de Sylvain en train de danser. Qu’est-ce qu’elle fout, bordel ? Cette gon esse est trop cheloue.
Je me cale dans un coin et e la regarde. Y’a moyen de me outre un peu de sa gueule, e pense. Je comprends pourquoi elle a tou ours l’air de se la péter. Droite comme un i. C’est une danseuse. C’est quand même beau, de la voir s’envoler, toute légère.
Je veux pas qu’elle croie que e la mate, alors e retourne dans le couloir et e ais exprès de claquer la porte de ma loge avant de
revenir dans la salle. Je la retrouve à côté de la scène, à aire semblant de regarder un truc sur son portable.
– T’as trouvé Sylvain ?
– Oui, il est dans l’autre loge avec les gars d’Universal.
– OK.
– Désolée pour tout à l’heure avec ta copine, e voulais pas vous…
– OK.
Je sais pas quoi lui dire, en vérité, alors e me barre. Cette ille me met mal à l’aise. Elle en a dans la tronche, c’est sûr, ça se voit. Chaque ois qu’elle me regarde, ’ai l’impression qu’elle pense « T’es qu’un gros bou on ».
C’est l’aquarium dans la loge. Moussa est complètement déchiré. Je le connais bien et quand il a ce sourire de débile, c’est qu’il est grave dé oncé. Mehdi ait son commercial. Il a sorti les belles sapes. Petite chemise Ralph Lauren, le ute et les pompes qui vont bien. Il a un peu orcé sur le gel mais l’ensemble est convaincant. Il essaie de me vendre à ses putes avec leur look de par aits connards. Dire que mon avenir dépend de baltringues pareils ! En vrai, mon avenir dépend que de moi, de personne d’autre, mais il audra bien que e asse avec eux. Ça ait partie des règles du eu.
Mehdi me capte.
– Hey ! Mike ! Viens là que e te présente.
– Salut.
Je ais mon plus beau sourire de aux cul. Un de ces mecs me tend la main.
– Salut Mike ! Ça dé once ton rap !
– Merci !
J’ai aucune idée de ce que e dois dire. Le mec enchaîne.
– Moi, c’est Antoine et lui, c’est Clément. On bosse tous les deux aux éditions che Universal. On a bien aimé tes mixtapes mais là, t’es clairement passé à un level supérieur.
Je réponds rien. Qu’est-ce que tu veux que je réponde à ça ? Puis de toute açon, e sens bien que le gars a envie de me dérouler son truc. – On est chauds pour te signer tu sais ?
– Cool…
– On ait pas mal de rap ces derniers temps. Y’a plus que ça qui vend en vérité, l’urbain.
J’aime pas son cynisme.
– On vient de aire le dernier Nek eu. Double disque d’or !
Mehdi a les yeux qui brillent. J’avoue que ça me ait un peu bander aussi mais ’ai l’impression de aire la pute. Je suis pas à l’aise. Je vois Sylvain qui passe et e ais comme si ’avais un truc super important à lui dire. Si ’ai un manager, c’est pour que ce soit lui qui se coltine ce genre de gars, et puis Mehdi, ça le ait ki er de ouer au businessman.
CAMILLE
Sylvain s’est en in décidé à partir. Il est trois heures du mat’. Je lui ais un peu la gueule. Ce n’est pas très cool, de m’avoir laissée poireauter toute la soirée comme il l’a ait. Il a dû le sentir parce que la première chose qu’il ait en montant dans la voiture, c’est de s’excuser.
– Désolé de t’avoir ait attendre, ’ai pas vu le temps passer. – J’avoue, ça m’a un peu saoulée…
– Je comprends… Les mecs d’Universal m’ont proposé des super plans. Fallait que e asse un peu de réseautage, tu vois ?
– OK, mais e crois pas que ma présence était indispensable ce soir.
Il s’approche de moi et me caresse la oue avec son index. – Tu ais la tête ?
– Non, mais me re ais pas de plan comme ça ! Me coucher tard en semaine, ça me coûte cher, et si c’est uste pour t’attendre, ça vaut pas le coup.
– Promis, Camille ! Plus de plan comme ça !
– T’attends quoi pour démarrer ? – Tu vas pas être trop contente… – Quoi ?
– Mike… e lui ai proposé de le ramener. C’est sur le chemin. On ait uste un arrêt rapide à Al ortville et on trace, e te le promets… – Su-per ! Et sa copine, elle peut pas le ramener ?
– Quelle copine ? Il a pas de copine.
– Ah ? Je croyais…
La porte arrière s’ouvre. C’est Mike, suivi par Mouss.
Il ait roid, ’aimerais tellement me téléporter sur mon canapé. En in, celui de mes parents. J’ai pas encore les moyens d’avoir mon propre appart. Les coryphées sont pas super bien payées. Vivre avec ses parents à mon âge, ça pourrait être un vrai cauchemar mais ils sont cool. J’ai de la chance parce que la cohabitation est acile. Bon, bien sûr il y a par ois des petites tensions, pour des ringues qui traînent, un lave-vaisselle qui n’a pas tourné… ce genre de choses, mais rien de bien méchant. Et puis, e passe ma vie à l’Opéra et eux sortent pas mal. On ne se marche pas sur les pieds. Si ’arrive à avoir une place de su et, e pourrai envisager de prendre un studio l’année prochaine.
– Tu nous mets un peu de son, Sylvain ?
Mike est encore plein d’énergie. Ça irradie dans toute la voiture. Ce gars-là a l’air tout le temps remonté. Je remarque que ses ambes gigotent nerveusement et que ses doigts tapotent sur sa cuisse comme s’il battait un rythme imaginaire. Moussa, ’ai compris que c’était son prénom complet, est dé à en train de dormir sur la banquette arrière. Sylvain monte le son. Personne ne parle. Moi, e ais la gueule à Sylvain pour cette soirée galère, Sylvain est emmerdé de devoir en plus m’imposer Mike et Mike ne peut pas me blairer.
MIKE
Mon réveil gueule. Je suis éclaté. J’ai du mal à ouvrir les yeux. Je ta e au Franprix au ourd’hui. C’est un peu rude, après le concert d’hier. J’ai pas croisé ma daronne depuis dimanche. Elle m’attend dans la cuisine dans son py ama à leurs. J’aime pas quand elle met ce truc-là, on dirait une vieille. Faut dire que depuis la mort de mon daron, elle a pris vingt ans d’un coup. Elle était belle, ma mère.
Ça sent bon le ca é et le pain grillé. Elle est en train de beurrer une tartine, assise à la petite table de la cuisine. On tient pas à plus de deux là-dessus. Et encore, y’en a tou ours un qui est gêné par la poignée du tiroir à couverts. C’est une table qu’on a récupérée che ma grand-mère quand on a dû déménager après l’accident de mon père. On était dans un appart plus grand dans un meilleur quartier, on avait une vraie table où on pouvait manger à quatre. Mais ça, c’était avant.
– Alors ? Comment tu l’as trouvée ?
– Quoi ? Qui ?
– Leila, la copine de ton rère.
Ma mère a cette aculté de reprendre la conversation là où elle l’a laissée même si c’était il y a deux ours.
– Ah, elle ! Bo …
– Quoi « bo » ?
– Je sais pas, c’est pas la meu du siècle.
– Moi, e trouve qu’elle a l’air gentille et surtout vraiment amoureuse de lui… Elle est mignonne quand même, non ?
– Si tu le dis, m’man.
Ma mère me prend encore la tête. Je sais bien qu’elle le ait pas tou ours exprès, qu’elle veut uste discuter mais c’est plus ort que moi, ça me hérisse le poil. Surtout quand elle essaie de savoir si ’ai une meu . Et là, c’est le cas. Je la connais par cœur. Elle prend la gon esse de mon rère comme prétexte. Chaque ois que e sors, elle s’imagine, ou plutôt elle espère, que e vais rencontrer la emme de ma vie.
À une période, e crois même qu’elle se demandait si ’étais pas pédé. Une ois, e m’en souviens bien, on regardait un truc à la télé et elle m’avait demandé si e trouvais le mec qui chantait mignon ! Sérieux ? J’en avais recraché mon Ice Tea.
Elle avait eu l’air soulagée par ma réaction et m’a plus amais reposé ce genre de question.
Quand même, ça se voit que e suis pas pédé ! Les mères, ça se ait tou ours tout un tas de cinoche. En vérité, ’en ai souvent, des meu s. Je suis pas le plus beau mec du coin mais e me débrouille bien. Ça onctionne. En général, quand y’en a une qui me plaît, ’arrive à la serrer. C’est pour ça que Moussa m’appelle tout le temps le beau gosse.
Le truc, c’est que e veux pas ramener de illes à la maison. Dé à, parce que e vis che ma daronne et que, e sais pas, ’ai pas envie qu’elles rentrent che moi, c’est tout. C’est un peu la déprime ici. Et puis, les illes, ça ouine tou ours. Ça analyse tout. Et, moi, ’aime pas qu’on cherche à me comprendre. Le plus intéressant che moi,
c’est mon rap. C’est tout. C’est là que tu sais qui e suis, c’est en écoutant ma musique.
– Tu inis à quelle heure ?
– Comme d’hab à dix-neu heures, mais e vais au studio direct après.
– Ah ut, e voulais que tu viennes avec moi che ta grand-mère. – Quoi y’a un truc qui va pas avec baba ?
– Non mais tu sais, on n’est pas loin de Noël, ça lui ait penser à ton père… Elle va pas super ort. Elle a besoin de se changer les idées et elle serait contente de te voir. Ça ait un petit moment que tu ne lui as pas rendu visite.
J’aime pas aller che ma grand-mère depuis que mon daron est mort parce que y’a plein de photos de lui partout. C’était son ils unique et elle l’adorait. Je lui ressemble vachement, à mon père, du coup ma grand-mère, à chaque ois qu’elle me voit, elle pleure tout ce qu’elle peut. Et moi, ça me out les boules. Et en plus, avec ma mère qui va chialer aussi à coup sûr, e vais me retrouver au milieu de leurs larmes. Et je fais quoi avec ça ?
Mais e peux pas re user, c’est ma grand-mère, elle habite au bout de la rue, dans un immeuble en briques rouges. Et puis elle ait partie des rares personnes qui comptent pour moi.
CAMILLE
J’ai été complètement nulle à la classe de ce matin. À la ramasse. Des enchaînements qui d’habitude passent bien étaient plus que laborieux. Je n’ai pas eu le temps de préparer mes pointes hier et e ne me sens pas à l’aise dans celles que e porte, mais ce n’est pas une excuse. À la pause, Rodrigue, mon pro esseur à qui rien n’échappe, m’a demandé de rester après le cours. Ça m’a tellement stressée que ’ai été encore plus mauvaise pendant la seconde partie de la leçon. Et vu le niveau de la première, c’était vraiment la cata.
– T’as un souci Camille ?
– Non ça va. Je sais, ’ai pas été super dedans au ourd’hui…
– C’est rien de le dire ! Tu ne passeras amais su et si tu continues comme ça…
– Je sais. Je suis sortie hier soir. J’aurais pas dû.
– Je t’aime bien et e pense que tu as un bel avenir devant toi, mais il aut que tu restes concentrée. Une carrière de danseuse, c’est court, il aut rassembler tous tes e orts là, tout de suite. C’est maintenant, Camille !
– Je sais.
– Ce soir, tu te reposes et tu assures demain. Et les ours suivants, OK ?
– OK !
Rodrigue a raison. Je dois rester ocus. Je suis sortie trop de ois en semaine ces derniers temps. Ça tombe très bien, ce soir Sylvain bosse à Al ortville avec Mike. Je vais pouvoir me reposer.
Je sors des vestiaires quand e reçois un texto.
Encore désolé pour ier on peut se voir ce soir ? Je veux me rattraper.
Tu devais pas osser avec Mi e ?
Si mais inalement il doit
aller voir sa rand-mère.
Ça me ait sourire malgré moi, de lire ça. Ce gars qui aboie tout le temps, qui a tou ours l’air urax et qui place le rap au-dessus de tout, d’après Sylvain, annule sa séance en studio pour aller voir sa grand-mère ! Ça a quelque chose de touchant. J’espère que ce n’est pas à cause d’un truc grave. Je sais que, moi, si ma grand-mère tombait malade, si elle s’en allait, e serais au ond du trou.
Désolée, e peux pas ce soir. Faut que e me repose.
J’ai été nulle en cours et mon maître de allet me l’a ait remarquer.
A merde ! OK e comprends,
on peut se voir quand ?
Je sais pas encore mais ce sera plutôt semaine pro.
Je reçois en réponse un smiley qui pleure.
Je sais, maintenant que e le connais un peu mieux, que ça ne va pas durer avec Sylvain. Il a besoin d’avoir une copine présente qui partage ses passions, qui prend le temps, avec qui il peut sortir, discuter, aire l’amour. Tout ce que veut un gars normal, en somme. Mais e l’aime bien et e ne veux pas lui aire de peine, alors e ais comme si de rien n’était.
Je lui renvoie un smiley bisou avec le cœur.
Quand ’arrive che moi, mes parents ne sont pas encore rentrés de leur travail. Ma mère a sa propre librairie à deux rues de che nous. Une toute petite librairie, tout en long. Un couloir de livres. Ça ne lui permet pas tou ours de se payer un salaire mais elle est passionnée. Mon père dit que e tiens d’elle. Lui, il est pro de lettres, c’est une tête. Ils m’ont eue quand ils étaient encore étudiants à la Sorbonne tous les deux. La petite surprise qui aurait pu péter leurs carrières, mais non. Aidés par mes grands-parents, ils se sont accrochés à leurs bouquins. Autant dire que pour eux, ’étais destinée à la littérature plutôt qu’à la danse. Mais voilà, ’avais cinq ans quand ’ai mis les pieds dans une salle de danse pour la première ois et ça a été une révélation. Je me souviens encore de tout dans le détail. Le ustaucorps rose avec la petite upe en mousseline que e portais, la douceur du tissu sous mes doigts, ma mère qui m’aide à en iler mes chaussons à élastique, les grands miroirs, la barre qui à orce laisse des ampoules au creux de la paume, le vieux parquet qui brille et ma pro esseure, sévère, mais avec une grâce que e n’avais encore amais vue che personne. Et puis la musique, le piano. C’était une évidence. C’était pour moi.
Après ce que m’a dit Rodrigue ce matin, ’ai passé ma ournée à ruminer. Ce soir, e n’ai pas trop aim. Je mange rapidement sur le bar de la cuisine en lisant un numéro de Danser que Mathilde, une
de mes copines de l’Opéra, m’a prêté. Il y a une intervie de
Rodrigue dedans.
Ma mère arrive quand e suis en train de ranger mes couverts dans le lave-vaisselle. Je ne l’ai pas entendue rentrer à cause de la bouilloire qui si le.
– Ça va ?
Je sursaute.
– Oh ! T’as pas ta tête des bons ours…
Elle pose ses deux sacs de courses sur le plan de travail.
– Mon cours ne s’est pas bien passé ce matin. Rodrigue m’a dit qu’il allait que e me recentre.
– Oh là là ! Faudrait qu’ils vous lâchent un peu, de temps en temps, à l’Opéra…
– Je sais ce que tu penses de tout ça, maman, mais si e veux être su et l’année prochaine, e dois rien lâcher.
– Quelle pugnacité. Je suis vraiment ière de toi ma chérie. – C’est gentil, maman. Je tiens ça de toi, tu sais.
Elle m’embrasse sur la oue et commence à ranger le contenu de ses sacs dans les placards tout en continuant à me parler.
– En in quand même, tous ces sacri ices… c’est beaucoup. J’ai l’impression qu’on vous demande tou ours plus alors que vous donne dé à tellement.
– T’en ais pas pour moi.
– Je suis ta mère, c’est normal que e m’inquiète. T’es en âge de pro iter de la vie. D’être heureuse.
– C’est le cas avec la danse. Vraiment !
– Et ça va, avec Sylvain ?
– Oui, oui, e suis peut-être un peu trop sortie ces derniers temps ustement.
Ma mère lève les yeux au ciel. Je suis dé initivement trop sérieuse pour elle. À mon âge, elle était dé à maman et e pense qu’elle aurait bien aimé que e pro ite au maximum de ma eunesse. – En tout cas, e suis contente que tu sois avec lui. Il est drôlement mignon. Et puis il a l’air bien, ce garçon.
– Il l’est. Je vais regarder un ilm et me coucher tôt pour récupérer. Ça t’ennuie pas si e t’abandonne ?
– Pas de souci. Je suis atiguée aussi. J’ai eu que des casse-pieds toute la ournée. Et puis, ton père va bientôt rentrer de toute açon. Je verse l’eau bouillante dans un mug et y glisse un sachet de verveine. C’est clairement un truc de mamie mais rien que le bruit de l’eau qui coule dans le ond de ma tasse me récon orte. J’en bois depuis gamine, ’ai tou ours eu du mal à m’endormir. Blanche, ma grand-mère maternelle, m’en préparait souvent avec des euilles séchées quand e dormais che elle. Elle les aisait pousser sur son balcon rien que pour moi.
Je m’installe en tailleur sur mon lit avec mon ordi pour choisir un ilm. Sylvain ne validerait pas ce que e suis en train de aire. Une ois, ’ai ailli renverser un verre d’eau sur son Mac, ’ai cru qu’il allait péter les plombs. En in, pétage de plombs açon Sylvain… tranquille. C’est un des mecs les plus calmes que e connaisse. Humeur égale, tou ours positi . C’est même pas du sel -control, c’est naturel. Je l’envie pour ça.
Une ois de plus, il n’y a rien qui me dise dans le disque dur que m’a prêté Fanny. On n’a vraiment pas les mêmes goûts pour les ilms. Je le sais. Elle le sait. Mais on continue à s’échanger nos disques durs quand même, des ois que…
Je bi urque sur Google. Je tape « Mike » dans la barre de recherche. Son concert m’a plu. Vraiment plu. Et Sylvain est tellement à ond sur lui que ’ai envie d’en savoir davantage.
Évidemment, e tombe sur des tonnes de Mike mais pas le rappeur. Alors e tape « Mike-rap-Al ortville ». Et là, s’a ichent tout plein de liens. Plus que ce que ’avais imaginé. Sur la petite vignette de la première vidéo sur YouTube, on le voit de pro il avec les cheveux attachés qui dépassent de sa casquette noire. Il allume une cigarette. La lumière de la lamme éclaire son visage. C’est un clip, le titre du morceau c’est Mon tiesk. Aucune idée de ce que ça veut dire. Je clique sur Play.
MIKE
J’aime pas travailler dans ce putain de Franprix. C’est la merde. Je pré ère encore ça que de ramasser les poubelles ou travailler aux espaces verts ou pire au MacDo mais quand même, ’aime pas ça. Je dois puiser tellement d’énergie en moi pour me contenir ace à ce connard qui me sert de che . Le gérant du magasin est un sacré blaireau. Il s’appelle Bertrand. Rien que son bla e, ça en dit long sur le personnage. J’ai rien contre les Bertrand de manière générale mais disons que c’est un prénom entre deux. Y’a pas de parti pris, pas de caractère. Et c’est bien ça, mon Bertrand, c’est une couille molle.
Ce gars a une pomme d’Adam plus grosse que la moyenne. Sérieux, quand il parle, e peux pas m’empêcher de la regarder monter et descendre. J’écoute amais ce qu’il me dit, ses sermons à la con. Mais c’est pas ma aute, c’est la aute de sa putain de pomme d’Adam.
Je bloque comme ça des ois sur des détails physiques. Ça m’arrive souvent. Et e vois plus que ça. Si ça me prend sur une meu , c’est outu, e peux plus la baiser. Une ois, ’ai rencontré une nana dans une soirée che Skeem. Elle était vraiment bonnasse et elle avait l’air de me trouver à son goût. Skeem, il était sur le coup
aussi et ’allais remporter le morceau. Elle m’a suivi dans la chambre des darons de Skeem mais quand e me suis approché pour l’embrasser et que ’ai vu ce truc dans son cou, ça m’a bloqué direct. Un gros grain de beauté, pas genre le petit grain de beauté charmant. Nan, le truc qu’on voit bien, en épaisseur, et ça m’a coupé direct l’envie. Un détail, parce qu’ob ectivement, elle était carrément olie. Mais rien que pour ça, e l’ai laissée à Skeem. Elle m’a pris pour un ou . J’ai amais pu sauter une meu si elle me plaisait pas vraiment. Je sais qu’il y a des mecs qui ont ça, uste pour se vider les couilles. Mais moi, e peux pas. Faut que e trouve la ille mignonne ou qu’elle ait un truc qui me plaise, du charme, sinon e peux pas.
Bre , le magasin est pas encore ouvert, e suis en train de vider les cartons d’oranges sur l’étalage et e sens que le Bertrand, il m’observe. Il a son cul mou posé sur le rebord métallique des tapis de caisses et me regarde aire de loin. Avec sa cravate de merde et sa chemisette saumon. Sérieux. Il me saoule vraiment. Plus d’une ois, ’ai été à deux doigts de le démonter. Mais il le ait exprès de me chercher tout le temps. Il connaît pas tout mon passé udiciaire, les gardaves, les travaux d’intérêt général quand ’étais mineur, il sait pas. Mais il a la photocopie de mon casier de ma eur, donc il sait que e me suis pris du sursis pour violence volontaire à cause d’une baston à Vitry. Et pourtant, ranchement, ’étais responsable de rien du tout. En tout cas, Molino, il sait par aitement que si ça me reprend, de casser la gueule à un mec, e vais le payer cher. Et ça l’excite, ce ils de pute, d’avoir le dessus sur moi, de me voir bouillir. Comme les types qui dressent les chiens, la même satis action d’avoir le dessus sur l’animal.
Les gars à qui ’avais cassé la gueule quand ’étais mineur, c’étaient de vrais en oirés et ils le méritaient vraiment. Surtout le