MIKE
– Tu m’as appelée ? – Ouais. T’es où, là ? – Je sors du métro
– Bon, e te le dis direct : te ais pas de ilm avec Coralie. Je sais que t’en as parlé avec ma daronne.
– Ah ? Pourquoi tu m’as rien dit avant ?
– Parce que c’est uste une sorte de plan cul.
– Un plan cul régulier, si ’ai bien compris…
– Si tu pré ères. Mais e m’en bats les couilles, de cette meu .
– Alors, pourquoi c’est elle qui est devenue ton plan cul régulier, si tu t’en ous ?
– Je vais pas te aire un dessin, Camille.
– Quoi ?
– Laisse tomber…
– C’est un bon coup ?
– Voilà !
C’est clair, Coralie elle est asse bonnasse. Y’a pas grand-chose qu’elle veut pas aire. Elle est super à l’aise avec son corps. Et elle suce comme personne, mais ça, e vais pas le dire à Camille.
– Donc t’as couché avec elle ?
– Ben oui, c’est la dé inition d’un plan cul !
– Depuis qu’on est ensemble, e veux dire.
– Nan. Ça ait un bail que e l’ai pas vue. En in, e l’ai croisée, elle habite la tour d’à côté et elle vient souvent au Franprix, mais e l’ai pas touchée, e te ure.
– Bon, Mike, aut que e te laisse, là, ’arrive che moi.
– Tu ais la tronche ?
– Non, mais ça me saoule que tu me racontes amais rien sur toi. – On dirait ma daronne !
– Super…
Elle me raccroche limite à la gueule. Je sais pas comment aire avec Camille. C’est la première ois que ’ai une nana comme elle. Ça a amais été dans mes plans, de sortir avec une grande blonde un peu bourge. Tout ça, c’est pas clair dans ma tête. Je ressens des tas de trucs pour elle mais on est tellement di érents. Ça colle avec ma daronne, mais pas avec mes potes. Moussa, il a trop de mal avec elle maintenant qu’il sait qu’on est vraiment ensemble. Il doit lipper que e change. J’évite que Skeem soit là quand elle vient au studio. Même si e pense qu’elle sortirait amais avec lui, e sais qu’elle lui plaît et il est quand même beau gosse. Après l’épisode où il l’a appelée, e tente pas le diable.
Et puis, elle est sortie avec Sylvain et quand ’y pense, ça me rend aloux de ou . Dès qu’un mec la mate dans la rue, e ais genre e m’en ous et e me contente d’une discrète baston de regards mais ’ai envie de le cogner. Elle se rend même pas compte de comment les mecs la regardent. Y’a quelque chose de pur che elle. Que ’ai peur d’abîmer.
Elle est pas souvent dispo, elle se lâche amais vraiment, elle peut rarement venir aux soirées, mais sous son air sage, c’est une impulsive, une vraie tête de bois. C’est ça que ’aime, che elle, c’est
une hargneuse, elle lâche pas. Je ki e passer du temps à parler avec elle, même si c’est surtout elle qui parle au inal. Et la baise avec elle, c’est mieux qu’avec toutes les autres. C’est pas technique, c’est uste bon parce qu’on est tous les deux dedans. Elle est marrante, gentille, pas dans le sens débile parce qu’elle est super intelligente, c’est une vraie meu gentille. Je sais pas ce qu’elle attend de tout ça, si e pourrai être à la hauteur. Des ois, e me dis que e suis grave piqué et que ça me met dans la merde. Des ois, que c’est cool. Et puis le lendemain, qu’on va nulle part. Dans ma tête, c’est la guerre.
10
CAMILLE
J’arrive pile à l’heure au cours. Mes amis sont dé à là, en train de s’échau er. Ben amin, Mathilde, Élise, Mathieu et moi. Je les re oins pour les premiers exercices à la barre uste à temps.
– On se place en première position et grand plié. On relâche les hanches, port de bras et au-dessus.
Rodrigue martèle ses instructions à un rythme e réné et soudain, en redescente, e sens un pic de douleur dans la hanche. Comme une aiguille, comme un éclair. Quand on est danseuse, on se ait souvent mal. Ça ait partie du ob, mais là, c’est pas comme d’habitude. Chaque appui devient plus douloureux que le précédent. J’essaie de ne rien montrer parce qu’on a appris, depuis tout petits, à aire bonne igure. Être blessé, ça vous rend vulnérable au sein de la compagnie, mais la douleur est si vive qu’elle se lit sûrement sur mon visage.
– Ça va, Camille ?
– Oui, oui, une petite douleur c’est rien…
– OK ! On reprend : plié, tendu, développé, on tend bien la ambe… Camille, arrête-toi.
– Non mais ça va…
– Arrête, e peux même te dire exactement où tu as mal. Je te laisse te changer, on en parle à la in du cours.
– OK.
Je suis dégoûtée. J’ai rassemblé toutes mes orces pour qu’il ne voie rien mais la douleur est tellement intense que e n’ai pas réussi à aire illusion. L’angoisse se répand en moi aussi vivement que la douleur. J’ai la nausée. J’envisage le pire. Je ne pourrai pas passer le concours, je ne pourrai peut-être plus danser à l’Opéra, voire plus danser du tout… Toute une vie de sacrifice, de travail pour que ça s’arrête là, bêtement, sur un mauvais mouvement.
J’ai trop tiré sur la corde, e pensais que ’arriverais à tout gérer, la danse, Mike, mais mon corps me rappelle à l’ordre.
Je prends mes pointes pour les ranger dans mon sac, e reste scotchée dessus en caressant le satin rose pâle. Est-ce qu’elles vont rester dans ce sac pour toujours ? Je suis tirée de mes sombres pensées par l’entrée des illes dans le vestiaire. Elles me regardent, l’air désolées. Elles semblent penser : « Ma pauvre, dur ce qui t’arrive. » Ça ne ait qu’augmenter mon angoisse. J’ai l’impression que c’est la in. Élise et Mathilde essaient de me rassurer sans y parvenir.
Quand e vais voir Rodrigue, qui est en train de ramasser ses a aires sur le parquet, de grosses larmes coulent dé à sur mes oues et mes ambes tremblent. Mon corps tout entier tremble. Rodrigue s’assoit sur le parquet et m’invite à l’imiter.
– Qu’est-ce qui se passe, Camille ?
– J’ai eu une douleur.
– Ta hanche, oui e sais, ’ai vu. Mais ce n’est pas ça que e te demande. La douleur est tou ours une alerte, le langage du corps ne trompe pas. Tout va bien dans ta vie ?
– Oui.
– Je ne veux pas être indiscret, mais tu as un petit ami, en ce moment ?
Je hoche la tête.
– Je te demande ça parce que c’est souvent une cause de distraction che les danseurs. Ils perdent leur concentration et c’est là qu’ils se blessent. Ça va bien de ce côté-là ?
– Oui… plus ou moins mais… oui. Je le vois peut-être trop…
– Je te l’ai dé à dit Camille, c’est maintenant que ça se passe pour toi. Ces derniers temps, tu as dansé divinement bien parce que tu y as mis de l’âme, mais tu t’es peut-être trop atiguée en dehors de la danse.
– Oui, tu as raison, e vais lever le pied sur… le reste.
– Maintenant, il aut que tu travailles en douceur sur ta hanche, que tu trouves l’équilibre entre souplesse et orce. Et il aut que tu ailles voir le kiné aussi. En urgence.
J’éclate en sanglots.
– J’ai tellement peur de ne plus pouvoir danser…
– Mais non, ma belle ! C’est réquent, les douleurs de hanche che le danseur. D’ailleurs, bien souvent, ce n’est pas la hanche elle- même qui est en cause mais des douleurs pro etées. Tu as sûrement dû te aire un étirement musculaire ou une tendinite. Ca ne t’empêchera pas de danser.
Je rentre che moi en métro et en boitant. Je suis tellement déboussolée que e me trompe de direction et e suis obligée de revenir sur mes pas. Rien ne tourne rond. Je pleure tout ce que e peux. Dans le agon, les gens autour de moi me regardent. Certains se demandent sûrement s’ils doivent intervenir ou me laisser chialer comme ça, sans rien dire. Arrêt à la station suivante. Sonnerie. Les portes s’ouvrent. Changement de spectateurs. Une petite ille avec de grands yeux tout ronds entre avec son papa. Elle me regarde avec
insistance, sans aucune gêne, parce que c’est une en ant. Elle dit tout ort à son père sans me quitter des yeux :
– Pourquoi elle pleure, la dame ?
Gros malaise.
– Je ne sais pas, ma puce, on a tous nos problèmes.
Il m’adresse un petit sourire con us pour s’excuser de la maladresse de sa petite. Ça réamorce la pompe à larmes. Je pleure sur tout le tra et sans pouvoir m’arrêter.
Je n’appelle pas Mike. Ça aurait été plutôt un ré lexe normal mais e ne sais pas, il m’a saoulée avec sa Coralie, ses cachotteries… Et, quand ’y ré léchis, e crois que ce qui m’a le plus blessée, c’est qu’il ne m’ait amais parlé de la mort de son père. Le peu de ois où il l’a évoqué, c’était comme s’il était tou ours vivant. Ça veut vraiment dire qu’il ne me ait pas con iance. Il me tient à l’écart de tout ce qui est trop intime. Je ne vois pas ce que ça peut donner, nous deux, s’il blinde tout.
Quand ’ouvre la porte d’entrée, ma mère est au téléphone avec la sienne. Ma grand-mère et elle sont tou ours littéralement connectées, physiquement, par téléphone et par ois, ’ai même l’impression qu’elles communiquent par télépathie.
Je n’ai amais entendu mon père se plaindre de cette relation usionnelle. Il y a très certainement des hommes que ça dérangerait, mais pas lui. Je crois même que ça le rassure. Ma mère est torturée. Elle ré léchit trop. La présence de ma grand-mère l’aide à gérer les petites crises d’angoisse, les doutes, les phases de déprime de sa emme. Il n’est pas tout seul à la soutenir dans ces moments-là. Je suis là aussi, mais e suis moins iable que ma grand-mère. Blanche, c’est un roc. Heureusement, ça ne dure amais très longtemps, le reste du temps ma mère est quelqu’un de très gai. Beaucoup de ses
amis ne soupçonnent même pas l’existence de ses petits passages à vide.
– Je te rappelle, maman ! Camille vient de rentrer. Je te rappelle.
En voyant ma tête, ma mère raccroche immédiatement et se précipite vers moi.
– Qu’est-ce qui t’arrive ma puce ?
Je me remets à pleurer alors que e pensais avoir tari la source. – Maman…
– Tu m’inquiètes, là, dis-moi. C’est ton copain ?
– Non, c’est la danse. Je me suis blessée… à la hanche droite. Ma mère me prend dans ses bras.
– Oh, non ! Ma puce… C’est grave ?
– Rodrigue dit que probablement pas mais ’ai tellement peur que tout s’arrête.
– Mais non, ça va aller…
Mon père entre à ce moment-là et nous trouve toutes les deux en larmes.
– Qu’est-ce qui se passe ici ?
– Camille s’est blessée en répétition.
– Mince ! C’est grave ?
– Je ne sais pas, il aut que e voie le kiné. J’ai rende -vous avec celui de l’Opéra demain en in de ournée. Rodrigue est venu avec moi au secrétariat pour me trouver une place en urgence.
– Il consulte le dimanche ?
– Les blessures ne ont pas relâche, même le dimanche…
Ma mère saisit mes mains que e n’arrête pas de tortiller dans tous les sens.
– Il y a quelque chose qu’on peut aire en attendant, pour te soulager ?
– Il m’a dit de prendre un bain chaud avec de l’arnica en rentrant. – Je vais te aire couler ça tout de suite !
Elle court vers la salle de bains. Mon père me prend dans ses bras. Les bras de mon père ont tou ours été le meilleur re uge. Et là, e me dis que ce n’est pas si mal, de ne pas encore avoir mon propre appart. Me retrouver toute seule ce soir avec ma blessure, ça aurait été trop dur.
– Ça va aller, ne t’en ais pas. On va trouver des solutions.
Je me laisse glisser dans le bain. Les e luves d’huiles essentielles me ont dé à beaucoup de bien. L’eau chaude m’enveloppe dans un cocon récon ortant. Je regarde ma hanche, e voudrais voir à travers ma peau, comprendre ce qui se passe là-dedans. Tout à l’air si normal, vu de l’extérieur. Ma mère rappe à la porte.
– Oui ?
– Ton téléphone n’arrête pas de sonner. C’est Mike…
– C’est pas grave, maman, e le rappellerai plus tard.
– Je t’ai sorti un Lexomil si tu en as besoin pour dormir. Je te le laisse sur ta table de nuit. Le sommeil répare beaucoup de choses. Tu y verras plus clair demain.
Ma mère sait exactement ce qu’on peut ressentir dans ces moments-là. Ce tourbillon de pensées, cette nausée, le ventre qui se déchire, le cœur qui s’emballe. Sa voix douce, qui me parvient depuis la porte ermée, me rassure. Et il n’y a que quelqu’un qui a vécu les a res de l’angoisse qui peut comprendre ce que c’est.
– Ça va s’arranger, crois-moi.
– Merci maman !
MIKE
Ce lundi, c’est un grand our ! On signe les contrats che Universal. On a pas mal dealé le truc avec Mehdi. Ça ait un mois qu’on négocie comme des chiens. Au départ, les gars voulaient me signer en tant qu’artiste mais y’avait pas moyen qu’ils prennent tout le contrôle.
Mehdi et moi, on a monté notre label pour pouvoir être coproducteurs de l’album et du coup, avoir une meilleure part sur les béné s. La part normale, en vérité. C’est nous qu’avons charbonné, on leur a mâché le ta , le public, c’est le mien, e l’ai chopé avec mes open mic, mes tracks et mes concerts. On va pas les laisser cueillir le ruit une ois qu’il est bien uteux et se remplir la panse avec. On veut grave croquer, nous aussi.
Et puis, on a pensé à plus tard. Peut-être produire d’autres artistes. En in, c’est surtout Mehdi qu’a cogité. C’est un animal à sang roid. Mon intelligence arti icielle pour le business. Il a tou ours des coups d’avance sur moi. Tout seul, ’aurais signé direct sans broncher. Même si e cherche la maille pour nous sortir de ce trou, la daronne et moi, tout ce qui m’intéresse, en vrai, c’est d’écrire et de rapper.
Mehdi, c’est un pote de mon grand rère, à la base. Ils étaient au lycée ensemble. Il a vingt-huit ans. Il aime bien lamber un peu, la sape et surtout les caisses, son rêve, c’est de se payer sa merco pré érée, la SLR, mais à part ça, il a la tête sur les épaules. Et puis, il a une gamine, il raisonne pas pareil que Mouss, Skeem ou moi. Sans lui, e sais pas comment e erais. En plus de s’occuper de tout pour la ik, il gère aussi mes papelards. Depuis un moment, il demande à tout le monde, maison de disques ou organisateurs de concerts, de me aire des cachetons pour que e puisse avoir le statut d’intermittent. Il regarde aussi mes comptes pour être sûr que l’argent rentre bien et que e lambe pas tout. Il garde tout ça bien rangé dans le coin bureau de son deux-pièces dans un gros classeur avec mon bla e écrit dessus. Je le vanne souvent en disant qu’il est comme une deuxième mère pour moi, mais c’est pas loin d’être la vérité.
À l’époque, mon rangin l’avait traîné à un de mes premiers concerts à la MJC. J’étais mauvais, e pense, et e dépassais pas les mille vues sur YouTube, mais lui, il y a vu quelque chose. Ça ait partie de ses talents, de voir plus loin, de lairer. Il s’y connaît grave en ik et il est dans le rap depuis un petit moment. Il a commencé par monter un maga ine sur la culture hip-hop avec des potes à lui. Et il s’est occupé d’un gars avant moi qu’a pas mal marché mais qu’a ini par péter les plombs à cause du succès. C’était pas pour lui. Mehdi, ça l’a reiné un temps mais il aime trop le rap, alors il s’est remis dans le game avec moi. Il a pas mal de connexions et une bonne tchatche. Sa devise, c’est « le culot, ça paye » alors il y va ranco. Et ça lui réussit.
Il est pas des tours lui non plus mais il vient d’un quartier bien craignos quand même. Son immeuble était collé à un hôtel désa ecté et muré, des toxs avaient dé oncé les parpaings pour
entrer et se aire leur shoot à l’abri des regards. Glauque. Y’a rien de pire que les camés. Ils sont imprévisibles et c’est des morts de aim. Il s’est ait planter un soir, Mehdi, quand il rentrait che lui. Juste pour un porte euille. Il a ailli clamser. La lame est passée à un millimètre de sa rate. Saloperie de shlags.
On arrive à l’accueil che Universal et ranchement, ça paye pas de mine. Je m’attendais à un truc un peu plus grandiose mais ça ait quand même tou ours plaisir de sortir du quartier. Le hall est tout petit et y’a une meu même pas bonnasse derrière une vitre blindée comme à la SNCF. Elle appelle Clément et Antoine pour leur signaler qu’on est là. On est bien attendus. Elle nous ouvre la porte blindée qui mène au bureau et nous dit que c’est au deuxième.
C’est pas très grand, les couloirs sont asse moches. Tu sens qu’ils ont essayé de rattraper le coup avec des meubles design et tout mais ça ait pas complètement la blague. En vrai, t’as un peu l’impression d’arriver au centre des impôts. Le Clément nous attend dans son ean à ourlet avec son beau sourire de aux cul. Pour être honnête, ’ai rien contre ce gars-là en particulier mais plutôt contre l’ensemble de ces gars-là. Je leur ais pas con iance. J’essaie, mais ’y arrive pas. Y’a tou ours un doute qui traîne, l’impression qu’il va y’avoir embrouille. Pourtant, les choses sont clean, on va signer un contrat d’édition
et ils eront la distrib. Basta. On est de la deuxième, voire de la troisième génération du rap. On arrive après ceux qui se sont ait baiser par les maisons de disques. On connaît le système.
On aurait bien aimé monter notre propre boîte d’édition aussi mais c’est plus compliqué. Mehdi garde ça pour le prochain album. Il a dé à posé ses pions.
On parle planning de sortie, tournée, clauses, royalties, on signe tout. Ils nous rencardent sur une attachée de presse spécialisée dans le rap qu’est hyper motivée par le pro et. Elle m’a vu à La
Bellevilloise et elle a ki é. Tout ça, c’est en bonne voie. Et puis, ils m’ont ait un chèque d’avance de quin e mille euros. J’en avais amais vu avec un aussi gros montant, en vrai. C’est à peu près ce que e gagne au Franprix en un an. D’ailleurs, ils m’ont dit que mon ob, ce serait plus possible. Qu’ils en avaient parlé avec le tourneur et qu’à raison de trois dates par semaine, pas de place pour Molino. Je serai payé pour mes concerts et mieux qu’au Franprix. Le kif, putain ! Je vais pouvoir balancer ma dém à ce gros ils de pute. En in, e demande à voir les contrats avec le tourneur, quand même. Impossible de lâcher le truc si e tiens pas l’autre dans la main.
On se boit un coup avec Mehdi pour êter ça dans un rade pas très loin. Champagne. On se met bien. La serveuse nous regarde de travers parce qu’on parle banlieue et ort mais on s’en branle. On est les rois du monde, là, tout de suite.
Après ça, il me dépose che moi avant de repartir che sa meu qui habite à Paris. Pas la mère de sa ille parce qu’ils sont plus ensemble. Sa nouvelle, elle travaille dans la musique. Je lui ai amais dit mais e peux pas la sentir. Je l’ai vue que deux ois, ça m’a su i pour comprendre que c’est une connasse prétentieuse. Il restera pas avec elle. C’est sûr et certain. Il est trop bien pour cette tass.
En tout cas, il se tape l’aller-retour pour moi. Il me chouchoute, le Mehdi. Je suis sa petite poule aux œu s d’or. J’appelle Camille mais elle répond pas. J’ai essayé de la oindre tout le eek-end. Un lundi à cette heure-ci, elle devrait être sortie de sa répète. J’avais bien envie de rimer un peu devant elle. Et puis, e sais pas, c’est un ré lexe, c’est elle que ’ai eu envie d’appeler en premier pour lui raconter. Avant ma daronne, avant Moussa, avant Skeem, avant tout le monde, quoi… Mais elle répond pas.
CAMILLE
Je me réveille à neu heures ce matin. Un mardi. Ça ait très longtemps que ça m’est pas arrivé. Je pourrais même pas dire quand c’était, la dernière ois. C’est orcément un our où ’ai été malade parce que e ne rate amais une répète. Jamais.
J’ai vu le kiné de l’Opéra dimanche et il m’a arrêtée trois ours en attendant de aire des examens complémentaires. Il n’avait pas l’air trop inquiet. Il pense que c’est plutôt une douleur tendineuse près de la hanche mais pas l’articulation elle-même.
Je vois les choses un peu moins en noir que samedi soir. Comme la veille, ’appréhende quand même de poser le pied par terre en sortant de mon lit. J’ai peur de ressentir à nouveau cette douleur à l’appui. Mais rien. Je suis debout et rien. Je marche et rien. C’est dé à un soulagement. Merci les antalgiques !
Ma mère et mon père sont dans le salon, habillés, coi és, ça sent bon leurs deux par ums mélangés. Ils s’apprêtent à partir au travail. – Tu as bien dormi, ma chérie ?
– Ouais, carrément !
– Ça va te aire du bien, ce repos orcé.
Mon père attrape sa veste sur le portemanteau de l’entrée. – Et cette hanche ?
– Impec ! Pas de douleur. Je verrai bien ce que me dira le spécialiste. J’aviserai.
– Exactement ! Anticiper un souci, c’est le vivre deux ois. – Écoute ta mère, elle sait de quoi elle parle.
– Tu vois pas Mike au ourd’hui ? Ça te changerait les idées.
– Justement, Rodrigue m’a dit de ralentir un peu sur tout ça… – Non mais de quoi e me mêle ? Franchement !
– Maman, c’est pour mon bien qu’il me dit ça. Pour que e sois ocus sur la danse. Je vais rester au calme au ourd’hui. Ré léchir un peu à tout ça.
– Et quand est-ce qu’on le voit, ce garçon mystère ?
– Je sais pas, papa…
– Tu ne veux pas nous le présenter ?
– Non, c’est pas ça mais il est dans des schémas… Genre « on est pas du même monde ». Bre , ça viendra… ou pas.
Ma mère, qui a bien compris que e ne suis pas du tout à l’aise sur le su et, prétexte qu’elle va inir par être en retard pour presser mon père de partir. Il la dépose tous les matins à pied avant de prendre son métro vers le lycée. Depuis des années. Ils sont comme ce couple d’oiseaux dans le ilm d’Hitchcock, des inséparables.
Je vais dans ma chambre après avoir pris un petit dé euner copieux. Demi-baguette beurre-con iture. Ça me change du ca é- banane habituel et ça me ait du bien. Je n’avais pas mangé grand- chose depuis samedi. J’allume mon portable que ’avais laissé éteint ces derniers ours. J’ai un message de Mike et cinq appels en absence dont quatre de lui. Je ne lui ai pas donné signe de vie depuis ma blessure. J’imagine que ça lui a ait péter les plombs. J’avais envie de le voir et d’être dans ses bras mais ’étais trop mal. Je ne voulais pas qu’il me voie dans cet état. Et puis, ’avais tou ours Coralie en travers de la gorge mais il me manque. Je le rappelle.
– T’étais où, putain ? J’ai essayé de t’appeler plein de ois. – Tu te calmes un peu, dis donc !
– Tu ais la gueule à cause de Coralie ?
– Non, pas du tout ! Même si ça me saoule que tu ne me dises amais rien. J’apprends que tu n’as plus ton père alors que ça ait deux mois qu’on sort ensemble ! Tu ne trouves pas ça dingue ?
– Non… C’est mes oignons.
– OK super. On ait quoi alors ensemble ? Juste on baise ? Je vois pas la di érence avec ton plan cul !
– Camille, t’as vraiment le don de me saouler ! En plus, ’avais une bonne nouvelle à t’annoncer…
– Quoi ?
– Ça y est ! Hier on a signé avec Universal et les mecs nous ont ré-ga-lés, on a eu une bonne avance : quin e mille balles !
– Super !
– Ma mère, quand elle a vu le chèque, e te dis pas, ’ai cru qu’elle allait aire une crise cardiaque.
– J’imagine !
– Ça la rassure, tu vois, ’ai un vrai contrat, tout ça.
Je ne peux pas m’empêcher de penser que lui et moi, on est comme des vases communicants. Il monte et e descends. Pour lui, la gloire, pour moi, l’échec. Je ne peux plus lui parler de ma hanche maintenant, e ne veux pas lui gâcher son plaisir.
– Je suis contente pour toi, Mike. Vraiment.
– Je voulais êter ça avec toi… On sort ce soir, pas tard !
– Non, e peux pas.
– Mais t’es où là, d’ailleurs ? T’as pas de répète au ourd’hui ? – Euh… non.
– Pourquoi tu peux pas, alors ?
– Faut que e me repose. Je suis… atiguée. Un peu malade.
– Tu vois ! Je t’avais dit. Tu tremblais carrément, la dernière ois. Je peux venir à Paris si tu veux, on se ait un resto, un ciné… Je sais pas, un truc.
Il est aussi euphorique que e suis déprimée.
– Nan… Mike, e suis vraiment atiguée. On era ça le eek-end prochain. OK ?
– On se voit que le eek-end prochain ?
– Je vais avoir pas mal de répètes cette semaine. Faut que e reste ocus, là. J’ai pas été super à la dernière répétition et…
– OK salut.
– Salut.
Il n’est pas content. Il voudrait que e sois à sa disposition tout le temps. Mais moi, là, e ne suis pas en état de le voir. S’il vient, e ne vais aire que pleurer, chouiner sur mon sort… On n’est pas du tout synchrones.
11
MIKE
Skeem arrive en retard, comme d’hab. Les mecs d’Universal nous ont pourtant loué un appart sur place. Il a deux mètres à aire pour aller au studio en sortant de son pieu. On est logés, nourris, on a uste à penser à la ik et rien d’autre. Il me gave grave. Ça ait cinq ours qu’on est là, il est pas arrivé une seule ois à l’heure. C’est ses morceaux qu’on mixe, c’est sa ik, bordel, et le gars arrive QUE en retard. En plus, c’est lui, ce ils de pute, qu’a eu l’idée de venir aire le mixage, ici, dans ce big studio en Belgique. Il ki e les prods du dernier album de Damso qu’a été mixé ici.
Antoine et Clément ont accepté de raquer pour ça. Ils ont même trouvé que c’était une putain de bonne idée. On a une semaine pour mixer les quin e titres qu’on a enregistrés dans le Sud avec Sylvain. C’est pas be e , mais c’est dé à royal.
Je vais le té direct quand il va arriver. J’ai trop les ner s. Je suis tendu de ou en ce moment. J’ai pas besoin de grand-chose pour péter un câble. Faut dire, ’ai plein de trucs dans la tête, ça commence à devenir sérieux, le rap. On prépare un pur clip avec un réal que Mehdi a chau é sur le single. Kathleen, l’attachée de presse, a ait un super ta et ’enchaîne les intervie s, les reestyles. Elle m’a même décroché un live dans Quotidien sur TMC. Ma gueule à la
télé et che les bobos, en plus ! On m’aurait dit ça l’année dernière, ’y aurais pas cru. J’ai des séances photo, y’a la couverture de l’album, la tournée… Planning chargé. Le reste du temps, e me dé once la gueule pour me détendre. C’est ça, ma vie, en ce moment : rap, promo et dé once. Pas de baise. On se voit quasiment plus, avec Camille, à cause de tout ça et de ses répètes aussi. Et puis, y’a comme un roid depuis cette histoire avec Coralie et le ait que e lui aie pas parlé de mon daron. Je sais pas, y’a un truc qui colle plus. Ça me manque un peu, ’avoue. Pas la baise, en in si, aussi, mais elle, Camille, elle me manque. Même quand elle est avec moi, des ois ’ai l’impression qu’elle est ailleurs.
– Putain QUE en retard ! Tu peux pas arriver une ois à l’heure ? – Ça va, Mike ’ai quoi ? Une demi-heure de retard ? Ça passe… – Non, ça passe pas, tu sais combien ça coûte, une heure ici ?
– C’est bon. Il a raison, Mouss, tu deviens relou !
– Ah putain, me chau e pas Skeem, sérieux…
– OK, OK… Mais tu devrais tirer un coup, ça te détendrait, rère. – Bon, on s’y met ?
Dans le prix de la location du studio, le mec qui va mixer est compris. Son bla e, c’est Jarod, c’est lui qui sera aux manettes. Sylvain est venu parce que ’ai pris la tête à Mehdi pour qu’il soit là, même si ça ait plus de dépenses. Il a assuré sur les prises de son et c’est mon pote.
La table de mixage est gigantesque. Une énorme Neve avec des potards partout. On s’est payé une barre avec Skeem quand Jarod a allumé la console la première ois. Les boutons, ils bougent tout seuls, c’est dingo. Ils ont une espèce de danse. On riait comme des bou ons. On avait pas mal umé avant, aut dire. Jarod, il nous a sûrement pris pour des gogols. Il est pas tout eune, genre il doit avoir quarante piges, super pro, le gars. Je suis sûr qu’il a l’habitude,
il a dû voir passer un paquet de crétins comme nous. Des mômes qui délirent sur tout.
À la pause dé , e m’isole dans la petite cour et ’essaie de oindre Camille. Elle m’a appelé ce matin mais on était en séance. Elle répond pas. Ça ait presque dix ours qu’on s’est pas vus. Même par tél, on n’arrive pas à se capter. Ça commence à me saouler en vérité. Il se passe exactement ce que e voulais éviter : e la ki e plus que ce que e voudrais. Et ça me ait bien chier. Le problème, c’est que ’arrive pas à bloquer le truc. Pour preuve, e peux pas m’empêcher, comme un bon gros bou on, de lui laisser un message dans lequel e lui dis qu’elle me manque, que ’ai envie d’elle et d’autres conneries du genre. C’est plus ort que moi.
CAMILLE
Ça ait au moins un quart d’heure que le gars me parle sans discontinuer. Il me pose bien quelques questions de temps en temps, mais il parle un peu tout seul. Je ne crois même pas qu’il essaie de me draguer, c’est uste qu’il est un peu bourré. Il a le ront tout transpirant et de grosses auréoles sur sa chemise au niveau des aisselles. Il est plutôt mignon à part ça, genre beau gosse sporti avec une coupe de ootballeur. Un max de gel dans les cheveux.
Je ne m’amuse pas du tout à cette soirée. Ça aisait plaisir à Mike, que e vienne avec lui à l’anniversaire de Mouss. Ils lui ont organisé une ête surprise dans une boîte de nuit à Paris.
Ça s’est super bien passé entre Mike et moi ces deux dernières semaines. Depuis qu’il est rentré de Belgique, on a ait des e orts tous les deux. Et e dois reconnaître qu’il y a mis du sien. Vraiment. Il a même un peu baissé la garde plusieurs ois. Ça a commencé par ce message sur mon répondeur où il me disait que e lui manquais quand il était à Bruxelles. Il m’a vachement touchée. Ça pourrait sembler banal mais c’était tout le contraire. Je l’ai écouté quatre ois de suite. Chaque ois qu’il se laisse un peu aller à plus de sentiments, c’est comme un éclair. Foudroyant. La rareté de ce genre de moments, ça leur donne beaucoup de valeur.
De mon côté, e suis moins inquiète pour ma hanche. Donc plus détendue. J’ai ait une échographie, ils ont vu des tendinopathies chroniques et des calci ications sur les tendons qui entourent la hanche mais apparemment, rien de grave. L’articulation n’est pas touchée et c’est le principal. Je dois encore passer un IRM pour être vraiment sûre qu’il n’y a rien d’autre. Je n’en ai pas parlé à Mike pour l’instant. Je veux que rien ne vienne perturber cet équilibre ragile. J’ai aussi décidé de ne plus prononcer le nom de Coralie, comme une sorte de cesse -le- eu. Mike essaie d’être plus présent, plus ouvert à la discussion. Pas d’engueulade, pas de drame. C’est chouette.
On est allés acheter ensemble le cadeau de Mouss aux Halles cet aprèm. Mike lui a trouvé des Nike, des Air Max Requin à 190 balles. Ils se sont cotisés, Skeem, Mehdi et lui. Je les trouve a reuses, mais il m’a dit que e n’y connaissais rien. C’est sûr qu’on va le voir arriver, le Mouss, avec ces espèces de lammes orange aux pieds. En in, quand il a ouvert le paquet, il était super content. C’est l’essentiel.
Mike est parti e ne sais où avec ses potes et e ne connais personne dans cette soirée. Sylvain et Fanny n’ont pas pu venir et e ne crois pas que Moussa tenait spécialement à ce qu’ils soient là. Pareil pour moi, d’ailleurs. Si Mike pouvait changer de copine, il serait content, le Mouss.
Il y a quelques illes qui traînent mais elles n’ont pas l’air sympas du tout. J’ai l’impression qu’elles parlent sur mon dos. Je n’ai pas encore les codes – pas sûr que e les aie un our.
Le gars à côté de moi est tou ours en roue libre. J’essaie de reprendre le cours de la conversation. Aux dernières nouvelles, il me parlait de son ex. Je crois que c’est tou ours le cas. Il pose sa main sur mon dos nu et e sens sa paume chaude et moite sur ma peau.
– Toi, t’es pas comme ça ! Ça se voit, t’es une ille bien.
La seconde d’après, e vois arriver Mike droit sur nous avec son regard noir. Comme s’il était tapi dans l’ombre à nous observer. Je ne sais pas d’où il sort exactement mais il a l’air urax. Le gars qui est avec moi n’a pas le temps de se retourner que Mike lui hurle dessus.
– Casse-toi !
Il ne comprend pas.
– Quoi ?
J’essaie d’intervenir.
– Mike ça va pas ? Qu’est-ce qui t’arrive ?
– Casse-toi, mec ! Je t’assure, c’est mieux pour toi.
Le mec détale, il a compris qu’il allait s’en prendre une. Mike m’attrape par le bras pour m’entraîner dans le couloir qui mène aux toilettes. J’arrive à choper mon manteau et mon sac de ustesse.
– Qu’est-ce qui te prend, Mike ?
– C’est à toi que e devrais demander ça. T’as décidé de te aire sauter par le premier venu, c’est ça ? De m’humilier devant mes potes !
– Mais t’es devenu dingue ou quoi ? T’as pris un truc ?
– C’est ça ! C’est moi qui délire. T’as vu comment t’es sapée ? J’avais pas remarqué, avec ton manteau, mais on voit tout ton dos là, on dirait une…
– Une quoi ? T’es sérieux là ? Tu m’insultes ?
– C’est toi qui m’insultes, e passe pour quoi ? Un mec qui sait pas tenir sa meu !
– « Qui sait pas tenir sa meu » ? Tu t’entends parler ?
– Je sais très bien ce que e dis, ouais !
– OK, e me casse !
J’en ile mon manteau et e me barre. Il me rattrape par le bras en le serrant très ort.
– Lâche-moi ! Tu me ais mal, putain !
Il lâche immédiatement. Je pleure comme une madeleine. Il a le don de tou ours tout aire oirer. On avait pourtant passé une super ournée. Ça allait tellement mieux, nous deux.
– Qu’est-ce que tu outais avec ce type ?
– Je m’ennuyais. Voilà ce que e outais. Je ne savais pas où t’étais passé. Je connais personne. Il m’a parlé. Fin de l’histoire. Il m’a même pas draguée.
– T’es miro ou quoi ? Bien sûr qu’il te draguait. Je desserre la laisse deux minutes et tu trouves le moyen de te aire peloter.
– Mike, t’as vu comment tu me parles ? Je suis pas ton animal de compagnie. T’as pas à me dresser ou à me tenir en laisse ou e ne sais pas quoi dans le genre…
– C’est toi qui allumes des mecs et c’est moi le auti , c’est ça ?
– Mike, arrête ! Je te reconnais pas, là ! Il a posé une demi- seconde sa main sur moi pour me dire un truc. J’ai même pas eu le temps de réagir que t’as bondi de ta cachette.
– Ouais, ça aisait un petit moment que e vous observais, igure- toi !
– Donc t’as bien vu qu’il n’y avait rien !
– Nan, c’est pas du tout ce que ’ai vu ! Ça ressemble plutôt à un gros lag. Mes gars se sont outus de ma gueule, en mode « Fais ga e, Mike, ta meu , elle est en train d’emballer ! » Je pensais pas que t’étais ce genre de ille… J’aurais dû me mé ier quand tu m’as dit que t’avais couché avec plein de mecs.
– Mais t’es devenu complètement con ou quoi ? C’est bon, ’ai plus rien à aire ici !
– C’est ça, casse-toi ! Et pas la peine de revenir. Des salopes, e peux m’en aire à la pelle. J’ai pas besoin de toi !
Mais quel connard ! Je quitte ce couloir, hallucinée de ce qui vient de se passer. Quoi que e dise, il avait décidé que ’étais une salope. Il commence à me connaître, pourtant, merde ! Il sait bien que e ne suis ni une pute, ni même une allumeuse ! Je sais qu’il est impulsi et qu’il peut être aloux, mais e n’imaginais pas qu’il pouvait être un tel en oiré. Devant sa réaction, e inis même par me poser des questions sur moi, par douter. Peut-être que je l’ai cherché, que j’ai pas été très clean avec ce mec ? Peut-être que je l’ai allumé sans m’en rendre compte ? Et puis, e décide que non. C’est Mike qui abuse. En sortant de la salle, e bouscule Skeem de l’épaule.
– Ça va, Camille ?
– Non !
– Mike est vénère ?
– C’est un sale con !
– Il est un peu bourré, t’inquiète…
– T’as entendu comment il m’a parlé ?
– Non, mais ’ai vu. T’as dû toucher un ner , mais il va se calmer. – J’ai plus rien à aire ici.
Je sais que Mike est en train de me regarder parler avec son pote. Et ça doit le aire encore plus rager. Je m’en uis et me précipite dans la bouche du métro.
Quand ’arrive l’appart est vide. Silence. J’avais oublié que mes parents sortaient eux aussi ce soir. Je checke mon téléphone pour la vingtième ois depuis vingt minutes. Rien. Je me déshabille pour passer un truc plus con ortable et e vois que ’ai tou ours la marque de la main de Mike sur mon avant-bras. Je pose mes doigts sur la trace des siens. Je suis inquiète : maintenant, Mike a l’excuse
par aite pour se taper une nana, mais il peut tou ours courir pour que e le rappelle.
Toute la semaine, ’ai été ébrile. J’ai attendu. Attendu. Et encore attendu. Je guettais la moindre vibration de mon téléphone, la moindre sonnerie me aisait sursauter mais ce n’était amais lui. Jamais.
12
CAMILLE
Une ambe au sol, l’autre tendue sur la barre en bois, e courbe le dos sur ma cuisse pour m’étirer. Devant moi Mathilde, exactement dans la même position, tourne son visage dans ma direction.
– Tu viens avec nous boire un coup, Camille ?
– Je sais pas. Je suis atiguée. Il ne nous a pas épargnés, ce soir, le Rodrigue. Et puis, aut que e repose ma hanche.
Ben amin, de l’autre côté de la barre, tente de me convaincre.
– Alle , viens ! Ça va te détendre ustement. On va en ace et on reste pas tard.
– Bon, OK, mais uste un verre.
– On se change et on se retrouve en bas dans dix minutes ! Élise et Mathieu viennent aussi.
Mathilde et moi, on entre dans les vestiaires. Élise est dé à en train d’en iler son ean slim en se tortillant au milieu de l’essaim de illes qui se déshabillent et commentent la répétition.
– Élise ! Attention, miracle.
– Quoi ?
– Camille vient avec nous, Ben amin a réussi à la convaincre ! – aouh !
– Vous abuse , les illes, e viens des ois quand même !
– Depuis que t’es avec ton rappeur, reconnais qu’on te voit plus trop…
– Il doit être tout content Ben…
Élise s’adresse à Mathilde comme si e n’étais pas là en lui aisant un clin d’œil lourd de sous-entendus.
– C’est peut-être le grand soir pour lui !
Je ne comprends rien de ce qui se trame. Mais il se trame quelque chose.
– Pourquoi tu dis ça ?
Mathilde ronce les sourcils tout en enlevant les épingles de son chignon.
– Arrête Élise ! T’es reloue !
– T’as tou ours pas compris, Camille, que Ben amin est sur toi depuis quelque temps ?
– Euh non, pas du tout… Tu te trompes. On se connaît depuis qu’on est gamins.
Élise en ile son s eat et attrape son sac polochon.
– Et alors, ça n’empêche rien. Bon, e vous attends en bas. On se magne, les illes ! J’ai soi !
Quand elle est sortie, e me retourne vers Mathilde pour qu’elle m’aide à comprendre.
– Pourquoi elle dit ça ?
– Tu connais Élise, elle voit des histoires partout.
– T’es sûre ? Parce que ’ai un copain. En in… e crois que ’ai tou ours un copain. Et Ben, e ne veux pas qu’il s’imagine des trucs ou quoi.
Mathilde hausse les épaules en aisant une petite moue embarrassée. Elle ne veut surtout pas se mêler de ça, ce qui con irme, tacitement, ce que vient de balancer Élise.
Mince alors ! Je n’ai amais envisagé Ben amin sous cet angle. On a grandi ensemble. C’est un rangin. Ce n’est pas possible qu’il m’imagine autrement qu’en amie. Il est entré la même année que moi à l’école de l’Opéra à Nanterre. Je me souviens encore de notre premier our. On avait à peine neu ans et on était tout paumés dans ce grand bâtiment. C’était encore plus dur pour lui parce qu’il y entrait en internat. Et puis, il était le seul Noir de la promotion. En in, Métisse, son père est camerounais et sa mère, rançaise. Niveau diversité, il y a encore des progrès à aire dans le milieu de la danse classique. Ça doit quand même être un truc, d’être le seul à avoir la peau plus oncée que les autres. À neu ans, c’est le genre de chose qui ne t’échappe pas et même si tu ne le captes pas tout de suite, les autres se chargent vite de t’en aire prendre conscience. Ça évolue pas mal ces derniers temps, on a en in commencé à voir arriver dans les magasins de danse des pointes marron ou bron e. Parce qu’avant, les danseurs noirs devaient les recouvrir de ond de teint pour qu’elles soient adaptées à leur carnation. Et c’était un sacré budget, vu qu’on change de pointes tout le temps. C’est dingue, le temps que ça a pris avant que les abricants réalisent que tous les danseurs n’avaient pas la peau dans les teintes rose ou beige.
Bre , Ben amin avait pas mal de raisons de pas être au top le our de la rentrée. Pourtant, c’est moi qui pleurais et lui qui est venu me consoler. J’avais quitté tous mes camarades de l’école primaire, dont Fanny. Et puis la pro esseure qui nous avait ait cours ce our-là m’avait parue tellement dure et l’endroit si roid. Pour la première ois, ’avais douté de ma vocation. Je revois Ben amin à la in de la classe avec son tee-shirt blanc et son collant gris qui s’approche de moi pour me demander si tout allait bien. J’avais haussé les épaules pour dire que oui, à peu près. Mais la boule qui me aisait mal à
orce de la retenir dans ma gorge a éclaté en larmes. Il a passé sa main dans mon dos et m’a assuré que tout irait bien. Son regard était ranc, direct, sans entourloupe. J’avais trouvé ça tellement récon ortant, d’avoir un allié dans ce monde qui me paraissait si hostile à ce moment-là. On est tou ours restés proches depuis ça. Mathilde et Mathieu nous ont re oints l’année suivante. Mathilde, elle était un peu comme moi. Plutôt sage, plutôt discrète. C’est une ille vraiment gentille et elle maîtrise la pirouette comme personne. Il aut la voir tournicoter, c’est impressionnant. Mathieu, c’était le petit comique bien dans ses baskets. Encore au ourd’hui, il est tou ours en train de aire le con. Il prend tout à la dérision. Ça ait du bien, dans un endroit comme l’Opéra.
Élise est arrivée quand on était dé à des ados. Et on ne pouvait pas passer à côté. C’est un vrai caractère avec une voix très grave et une grande bouche. Plus grande que la moyenne. C’est pareil pour son cœur, il est plus grand que la moyenne. Elle est pro ondément humaine. Quand elle est là, on le sait et on est content qu’elle le soit.
Je n’ai pas énormément d’amis et e suis ille unique, alors cette petite bande, ’y tiens. Vraiment. Avec Fanny, ils sont ma deuxième amille. Je ne voudrais pas que cette supposée attirance que Ben amin aurait pour moi vienne tout gâcher.
Je tente de me rassurer en me disant qu’Élise a dû mal comprendre. C’est vrai qu’elle voit des signes partout.
Tout ça me ait inévitablement penser à la discussion que ’ai eue avec Mike, il y a quelques semaines, sur l’amitié homme- emme. Je venais de recevoir un coup de il de Mathieu pour me dire que la répétition était décalée d’une heure.
– Dis donc, il t’appelle souvent, ce Mathieu.
– Normal, e prépare en ce moment une nouvelle pièce avec lui et c’est un pote.
– Un pote ! Tu sais que ça existe pas, l’amitié entre un mec et une ille ?
– Ben si, la preuve…
– Nan, y’en a tou ours un qui veut baiser l’autre. C’est sûr et certain.
– T’as aucune amie ille ?
– Nan, pour quoi aire ?
– Te ais pas plus binaire que tu ne l’es.
– C’est ce que e pense.
– J’ai plein de copains mecs et y’a aucune ambiguïté avec eux.
– En vrai, soit ils sont homos, soit ils veulent te baiser, crois- moi ! Je connais les mecs, ’en suis un, on a tou ours une idée derrière la tête. Obligé. Vous aussi, les meu s, vous aites les saintes Nitouche mais vous y pense pareil !
Ça me ait mal de me souvenir de ce moment. On s’entendait bien à cette période. Tou ours là pour me contrarier, celui-là ! Même quand il n’est pas là et qu’il ne donne pas de nouvelles. Depuis des ours. Des semaines. Deux semaines, putain !
Le vin commence à me aire tourner la tête. J’aurais dû m’arrêter au premier verre. Le bar est bondé et les miroirs aux murs accentuent la sensation de oule. Il ait chaud. Tout le monde parle ort. Le grand su et du moment, c’est le concours. Chacun y va de son pronostic sur le nombre de places qui vont être attribuées. C’est Élise qui a ouvert le débat. Sa voix grave et puissante surgit du brouhaha.
– Il paraît qu’il n’y aura pas plus de deux places de su ets à pourvoir cette année. Toi, Ben, t’es sûr d’être pris ! Ça nous laisse plus qu’une place pour tous les coryphées.
Ben amin ait mine de ne pas savoir, mais il sait. Il sait très bien qu’il est un niveau au-dessus de nous tous. Il a le truc en plus. Il y a des chances pour qu’il soit nommé étoile d’ici peu, même. Alors, le concours de su et, c’est fingers in the nose mais il ne veut pas aller trop vite. Ce n’est pas acile de se aire de vrais amis à l’Opéra. Il ne voudrait pas s’éloigner de nous ou qu’on le alouse. Il devrait savoir que ça ne sera amais le cas. Mathieu n’a pas le sens de la compétition. Et puis, entre les illes et les garçons, la concurrence est moins rontale.
– Pourquoi tu dis ça, Élise ? Y’a amais rien de sûr dans un concours.
Il détourne l’attention sur moi.
– Ça va pas ? T’es toute pâle…
– C’est le vin, avec la chaleur, le bruit… Je crois que e vais rentrer.
– Tu veux que e te raccompagne ?
J’ai la tête qui tourne mais le petit sourire d’entremetteuse qu’Élise adresse à Mathilde ne m’échappe pas.
– Non merci, Ben. Je vais rentrer à pied, ça va me aire du bien de marcher et de prendre un peu l’air.
Mon téléphone vibre sur la table devant moi. Tout le monde peut clairement lire le nom de Mike qui s’a iche. Je réponds immédiatement. Sans ré léchir.
– Allô ? Je t’entends pas bien… Attends, e sors !
J’articule un « désolée » muet à mes amis et sors du bistro. – T’es où ?
– Dans un ca é avec des copains.
– Ah… Ça va ?
– Super et toi ? Pourquoi tu m’appelles ?
– Je ais mon concert ce soir à la Gaîté Lyrique, tu te souviens ? Comme c’est uste à côté de che toi… Je pensais que ça te dirait peut-être de venir.
– Non, pas du tout.
Il est gonflé.
– Alle ! Arrête de aire la gueule ! Je ais le premier pas… – T’es en panne de salope pour ce soir, peut-être ?
Il prend un ton aussement suppliant.
– Camille… Viens, s’il te plaît.
– Quoi ? C’est tout ? Je sais pas, tu ne te dis pas que quand on traite sa meu de salope, on doit un peu s’excuser quand même ?
– OK… Je suis désolé. Ça te va ?
– Pas trop, non.
– Je pensais pas ce que e t’ai dit. J’avais un peu trop tisé et e me suis en lammé, tu me connais, quoi !
– Je te connais pas tant que ça, non. Et c’est acile, le coup de l’alcool. Genre ’ai trop bu ’ai dit n’importe quoi… c’est l’inverse ! On dit la vérité quand on est bourré. Je suis sûre que tu le pensais vraiment, quand tu m’as dis que t’avais pas besoin de moi et que des salopes, tu pouvais t’en trouver à la pelle.
– Je pense pas ça, Camille. Ni que t’es une salope. Et e m’excuse. OK ? Tu viens ce soir ? J’ai une surprise pour toi…
– Je vais voir avec mes potes. Tu peux avoir des places pour eux aussi ?
– C’est qui, tes potes ?
– Mes copains de l’Opéra : Mathilde, Élise, Mathieu et Ben amin. Je t’en ai parlé vingt ois.
– Ils vont ki er tu crois ?
– Pourquoi pas ?
– OK, OK, e vois avec Mehdi si c’est possible.
Évidemment, ’y suis allée, à son concert, même s’il a allu lui arracher des excuses, même si ma ierté me hurlait de ne pas le aire et même si ’ai dû traîner un peu mes potes parce que le rap rançais, ce n’est pas trop leur truc. Je savais que Mike avait ait un gros e ort pour ravaler son orgueil de macho à la con et m’appeler le premier. Bien sûr, c’est lui qui m’avait insultée. Bien sûr, aller quand même le voir ce soir, c’était prendre le risque qu’il le re asse sans craindre de sanctions une prochaine ois… Mais il m’avait promis une surprise et la curiosité était la plus orte.
On l’a croisé rapidement, uste avant qu’il monte sur scène. Il ne s’est pas montré super chaleureux avec mes amis mais e m’y attendais. Tellement. La lutte des classes, tou ours. J’ai vu tout de suite qu’il les considérait comme une bande de petits bourges. Et puis, il n’a pas l’habitude de réquenter des mecs comme Ben amin ou Mathieu. Pour lui, ce sont des extraterrestres. Pourtant, s’ils n’avaient pas été là, e ne serais pas venue à ce concert : c’était un peu une açon de lui dire que e n’étais pas complètement à sa disposition. Une revendication. Moi aussi, ’ai des potes, une vie. Mathilde et Élise ont déserté au bout de trois ou quatre morceaux, prétextant les répètes très tôt le lendemain matin et le trop-plein d’alcool. Mais ’ai bien compris que la musique de Mike, ça ne leur parlait pas trop. Pas du tout, même. Mathieu a eu l’air d’apprécier, lui, et Ben amin est probablement resté pour moi. Je pense qu’Élise avait vu uste.
Mike m’a repérée dans le public pendant le concert. Il m’a ait son sourire, celui qui anéantit en moi toute orme de résistance. En in, e crois qu’il m’était adressé.
Après le dernier morceau, ’ai remercié mes deux potes d’être venus et d’être restés usqu’à la in. J’ai ilé en loge. Ben amin avait
l’air déçu mais, pour être honnête, e m’en ichais complètement à ce moment précis.
Mike parlait en aisant de grands gestes, entouré de sa tribu et de quelques illes que e n’avais amais vues avant. Tous hypnotisés. Ma colère, qui s’était légèrement endormie pendant son concert, s’est ravivée en le voyant aire le beau devant ces rivales potentielles. Cette colère avait le dessus sur mon envie d’être avec lui. Le « salope » de la dernière ois n’était pas encore passé. Tou ours coincé au milieu de la gorge. Dès qu’il m’a vue, il a pris sa veste de survêt noire, la Jordan. Il sait que e l’aime bien dedans. Après l’avoir en ilée, il m’a attrapée par la main, les laissant tous en plan. – Viens !
– On va où ?
– Surprise.
Il a stoppé soudain sa course pour me regarder droit dans les yeux.
– Je suis content que tu sois venue, Camille. Je sais que ’ai grave abusé la dernière ois.
– C’est rien de le dire…
– J’étais aloux. Ça m’a rendu con…
– Pourquoi tu ne m’as pas appelée plus tôt pour t’excuser, alors ? – Dé à, ’ai mis un peu de temps à redescendre et… e savais pas quoi dire.
– Pardon, ça aurait été un bon début.
– C’est vrai, mais e pensais que t’allais me eter…
– Et ?
– Et ’avais pas envie… Je voulais que tout ça retombe un peu de ton côté aussi, tu vois ?
– Je t’en veux tou ours, tu sais…
– J’imagine.
– Alors, on va où ?
Il me traîne tou ours par la main. Je le suis dans les rues du Xe. Je n’habite pas très loin d’ici mais e n’ai aucune idée de l’endroit où on va. Je pensais à un resto pas loin dont e lui avais dé à parlé mais on tourne dans une rue uste avant. Il suit Google Maps sur son téléphone et après dix minutes de marche sans se dire un mot, on s’arrête net devant la porte d’un hôtel à la açade toute bleue, rue Taylor.
Je suis surprise et un peu agacée aussi.
– Quoi ? Un hôtel ?
– Ouais ! J’ai réservé ici, e voulais passer une vraie nuit avec toi. – Avec moi ? Et si ’étais pas venue ? T’aurais amené une autre salope ?
– Camille… Cette chambre, e l’ai réservée y’a une semaine pour nous deux.
– Il y a une semaine ? Pourquoi tu me le dis seulement au ourd’hui ?
– Pour pas que tu cogites trop…
– Je vois… Mais ça va pas le aire, Mike. Tu ne peux pas me traiter comme tu l’as ait, me laisser deux semaines sans nouvelles et penser que e vais venir avec toi dans cet hôtel parce que, uste, t’as décidé que ça se passerait comme ça.
– Tu veux plus de moi, Cam ?
– Pas comme ça, en tout cas.
Il est contrarié. Ses sourcils se sont roncés et il ait craquer ses doigts avec son pouce comme à chaque ois qu’un truc ne lui plaît pas.
– Camille, putain ! Tu vois pas les e orts que e ais pour toi ?
– Si mais… Je suis désolée, c’est pas asse , Mike. Tu m’as blessée la dernière ois. Tu t’es comporté comme un sale con, vraiment. Ça
allait bien entre nous et t’as tout gâché sans raison…
– OK, e vois…
– Tu vois, tu recommences !
– Quoi ?
– Tu te ren ermes. Je tiens à toi, Mike. Mais de nous deux, c’est moi qui ais tous les e orts, et là, ’y arrive plus. Je suis quand même venue à ton concert.
– Ouais, e sais…
– Désolée pour l’hôtel.
J’imagine qu’il va devoir quand même payer la chambre s’il l’annule maintenant. Et ’ai bien conscience qu’un hôtel de ce genre à Paris, c’est au moins deux cents euros la nuit. Je sais que ça représente beaucoup pour lui. Et en vérité, ’ai grave envie qu’on passe une vraie nuit ensemble. Pas un truc en cachette che mes parents ou à la sauvette che lui. Une nuit entière, tous les deux. Se réveiller dans le même lit, pouvoir y rester toute la ournée si ça nous chante. Mais il ne peut pas s’en tirer comme ça.
– Alors quoi ? On sort plus ensemble ?
– On peut se voir et on avisera…
– Se voir… quoi ? En copains ? Je suis pas ton pote, moi…
– C’est compliqué de discuter avec toi. Tu ne veux pas y ré léchir ?
Il s’allume une cigarette et recrache la umée comme si elle contenait toute sa rustration.
– Tu veux quoi ?
– Plein de trucs… Que tu asses vraiment des e orts, que tu me parles plus de toi, que ce ne soit pas tout le temps moi qui doive venir te voir, que tu viennes plus souvent che moi, que tu rencontres mes parents…
– Camille, t’es reloue.
– Mais c’est bon… Ils sont sympas, e t’assure ! Ils vont pas te bou er… Et e te demande pas qu’on se marie, mais ce serait plus simple quand même si on pouvait passer du temps che moi.
– Je sais pas… C’est compliqué avec toi.
– C’est toi qui vois. Mais tu m’as traitée de salope et on n’insulte pas les gens à qui on tient. C’est peut-être uste que tu ne tiens pas vraiment à moi.
– Camille ! Je t’assure que ’en ais beaucoup, des e orts, tu vois pas mais ’en ais. C’est la première ois que e réserve un putain d’hôtel pour une meu …
– Si, e vois, Mike. Mais moi, c’est la première ois que mon mec me traite comme tu l’as ait à la soirée de Mouss et c’est pas possible.
Il se rapproche dangereusement de moi.
– Camille… Viens, on dort ensemble. Je te touche pas si tu veux pas. Juste, on dort ensemble…
– Non, tu sais très bien qu’on era pas que dormir si on se retrouve dans le même lit.
– J’ai grave envie de toi, là…
– Moi aussi mais c’est pas le su et…
– Un peu, quand même…
Il dépose un baiser dans mon cou et e ne peux pas m’empêcher de poser mes bras sur ses épaules et de l’embrasser. Mais e me ressaisis presque immédiatement.
– Mike, e vais te laisser.
– Camille…
Il essaie de me rapprocher de lui en m’attrapant par la taille mais ’esquive.
– Ré léchis et appelle-moi si tu veux qu’on se voie…
– OK, OK.
Je uis littéralement. Je me uis. Je uis Mike parce que e n’arriverai pas à lui résister bien longtemps. Je pars sans me retourner. Je sens son regard peser sur mon dos. Je tourne à l’angle de la rue, ière de moi, et reçois aussitôt un texto.
On se voit quand ?
Demain ? OK.
13
MIKE
Ce matin, e me suis réveillé de bonne humeur, pourtant ’avais tou ours pas réussi à rechoper Camille. Elle se aisait vraiment désirer. Je crois que le but de cette meu , dans la vie, c’est de me rendre dingue.
Quand bien même, c’est un grand our ! Celui que ’attendais depuis tellement longtemps. L’idée de balancer ma dém à cet en oiré de Molino, ça me met grave bien.
Jimmy, le tourneur, nous a appelés Mehdi et moi il y a quelques ours pour nous dire qu’il allait vraiment que e lâche mon ta . Que c’était plus ouable de aire les deux.
J’arrive, comme d’hab, par l’entrée de service. Il est assis en mode gros con, dégoulinant sur son siège avec les ambes écartées ace à la pauvre Nadia. Elle sait pas où regarder avec l’autre qui lui o re en spectacle ses burnes moulées dans son ute beige.
Quand la porte en métal claque derrière moi, le Bertrand lâche des yeux les gros seins de Nadia et m’enchaîne direct.
– Karavic ! T’as une heure de retard ! Tu te crois où ?
– C’est que c’est un grand our pour moi, m’sieur Molino.
– T’as tiré ton coup ? C’est ça ? J’en ai rien à outre, moi ! L ’heure c’est l’heure !
C’est tellement bon de le voir monter en pression que ’ai envie de aire durer un peu le plaisir. Je retarde le moment ouissi . Nadia est mi-e rayée, mi-amusée. Elle veut pas en louper une miette en tout cas.
– L’heure, en ait, e m’en ous ! Comme d’à peu près tout ce qui peut sortir de votre bouche…
– Quoi ? Qu’est ce qui t’arrive, Karavic ? Tu t’es vidé le cerveau en même temps que les couilles ? Tu veux te aire virer ?
– C’est un peu l’idée, ouais…
Je crois que ça lui a coupé net la respiration. Ses oues deviennent toutes rouges.
– Dégage d’ici, Karavic !
– Pas avant de vous avoir quand même lâché quelques petites in os…
Je lui ai ait sa ête. Il a pris cher. Je lui ai même pas outu sur la gueule. Tout est passé par les mots. Putain, ce que c’était bon. Trop court mais trop bon. Je raconte tout ça dans le détail à Moussa sur le tra et. Même après une semaine ça me ait tou ours autant ki er de repenser à sa tronche, au Molino. C’était grandiose
Ce eek-end, on oue à Brest le samedi et à Strasbourg le
dimanche. En tout, deux mille soixante-dou e kilomètres. Vingt-deux heures de tra et en deux ours. Merci le tourneur ! Apparemment, y’avait pas moyen de aire autrement. Camille ait un peu la gueule parce que c’est le eek-end de son anniversaire. En in, elle est trop maligne pour aire la gueule ranco. Elle ait genre de rien, mais e sais qu’elle est déçue que e sois pas là, avec elle. Ça ait trois mois qu’on sort ensemble. Même si on a été en embrouilles plusieurs ois, e suis amais resté aussi longtemps avec une meu .
J’avoue que, moi aussi, ça m’a ait un peu chier de pas pouvoir être là pour la ête avec ses potes, bien que ’aie pas grand-chose à
leur dire. J’ai promis de aire des e orts mais e sais qu’avec eux, ça va pas coller. Quand ils sont venus à mon concert à la Gaîté, y’avait comme un décalage. Laisse tomber. Camille me les a présentés vite ait mais, e sais pas, c’est pas trop passé. Les meu s avaient l’air plutôt sympas, surtout la grande avec sa voix grave, elle était genre rigolote, un peu bonhomme. Pas comme les mecs de leur petit groupe. Je parle pas trop à des gars comme ça. Des ragiles comme on dit che nous. Je sais que e suis bourrin, mais quand même ! Faire de la danse en collants toute la ournée, c’est un délire sérieux. En in, y’en a un des deux, e suis pas tout à ait sûr qu’il soit homo. N’empêche, même si e plante Camille, e suis au taquet d’aller aire ces concerts. Ça ait beaucoup de route, c’est sûr, mais on oue à La Carène à Brest et à La Laiterie à Strasbourg. Deux très bonnes salles. Et dans ces régions-là, le public a tou ours été mortel. J’ai une bonne an base sur place.
Avant, quand e aisais des dates en province, e m’occupais de la location du matos, on prenait la caisse de Mehdi et on conduisait tous les deux à tour de rôle. La plupart du temps, on pionçait dans la bagnole. Pas le budget pour une chambre.
Maintenant, on se tape plus toute cette galère. Bon, ce eek-end, on se mange des kilomètres, mais le tourneur nous a trouvé un driver. Il s’appelle Guillaume. Il est plutôt sympa, un peu couillon mais ça va. Y’avait pas moyen qu’on conduise de toute açon. On va être déchirés. Pas que oncedés, atigués aussi. On est six sur la route. Mehdi, Kylian, le petit nouveau de la bande, qui ait mes backs, Skeem qui s’occupe de la ik et des platines, Ayoub le sondier qui ait la açade et les retours, Moussa qui gère le matos et puis moi. Normalement, Skeem vient pas sur les dates. Les beatmakers, c’est plutôt le genre geek à rester en ermés dans leur chambre pour aire tourner des beats en boucle. Mais lui, c’est l’exception, ça le
ait triper de aire un peu de live et surtout de partir sur les routes avec nous. Et puis, si y’a moyen de se lever quelques meu s, il est tou ours partant.
Le tourneur nous a loué un petit van. C’est vraiment un bon délire, de partir avec la clique. On se marre bien en général. On ume de la eed, on picole. C’est la colo. On écoute du bon son aussi. Le volume à ond. Et là, y’a le dernier Travis Scott qui vient de sortir, alors on l’écoute usqu’à épuisement parce que le gars dé once tout.
On est en in à Brest. Putain, ce que c’est loin !
Je ais le bon gars. J’envoie un texto à Camille pour lui dire qu’on est bien arrivés. Elle me répond pas, pourtant y’a les deux petits traits bleus qui disent qu’elle a lu le message. Elle veut que e lui parle plus de moi mais c’est pas mon truc. Si e parle pas plus, c’est pas que e me retiens alors que ’ai plein de choses à dire. Non, c’est uste que ça me vient pas naturellement. En plus, e suis du genre maladroit. Je sais pas aire ça bien. Dans une chanson, t’as le temps de ré léchir à ce que tu dis mais avec Camille, en live, le moindre truc peut partir en embrouille.
Je lui ai donné pas mal de raisons de me détester ces derniers temps. Je sais que e suis en période d’essai. Elle m’en a ait un peu baver d’ailleurs. On sort mais pas de baise. Ciné, resto, concert, mais pas de baise. Fallait que e regagne sa con iance en quelque sorte, mais bordel, c’était chaud. Dix ours ! Elle a inalement cédé la veille de mon départ. Elle devait lipper que e parte aussi tendu avec toutes les occases qui peuvent se présenter en concert.
Ça n’empêche, e suis sûr qu’elle va se aire des ilms. En temps normal, e me serais sûrement tapé des meu s, ou du moins ’aurais essayé. Mais depuis que e suis avec elle, e m’en bats les couilles des autres. J’aime pas ça, e me reconnais pas trop. Et surtout, e veux
être dépendant de personne, même pas d’elle. Surtout pas d’elle. Être mordu d’une meu , c’est clairement être dans la merde. T’es à sa merci et c’est pas bon.
À peine arrivés à la salle, on nous montre les loges et uste après, on commence à décharger le matos. Pour un rappeur, y’a pas grand- chose, comparé à un groupe de rock, e veux dire. Un our, ’aimerais bien aire un live avec des icos, comme The Roots. C’est un groupe que mon rangin écoutait. Il m’a montré une vidéo une ois. Sur scène, ça déboîte. Ce genre de setup, c’est pas pour tout de suite parce que ça demande de la thune mais si l’album marche bien, peut-être sur la prochaine tournée.
Mes gars se posent un peu dans la loge en attendant que ce soit notre tour de aire les balances. Moi, e reste dans la salle pour regarder la première partie qui est sur scène en train de aire ses réglages. C’est un groupe de rap local. C’est de la bonne came. Un peu trop d’autotune à mon goût mais ça le ait. Y’a peu de temps, c’est moi qui aisais les premières parties. Maintenant, e suis la tête d’a iche. Ça me ait halluciner qu’il y ait des gens qui paient leurs places pour venir me voir. Juste moi, pas pour un estival, non, uste pour moi. En in, pour ma ik.
Le concert, ça a déchiré. On a mis le eu. On est restés un peu discuter avec les mecs de la salle, ils sont très cools. J’essaie d’appeler Camille en sortant de scène mais elle décroche pas. Elle a pas répondu à mon texto de tout à l’heure. En même temps, elle a sa ête avec ses potes.
Elle aimerait bien me aire entrer dans son univers. Ses potes, ses parents. Mais e reine tou ours un peu, on galère dé à asse comme ça. J’ai pas envie que ses darons ou ses amis viennent outre encore plus le bordel entre nous. J’ai quand même accepté de voir sa amille. Un resto pour son anniv au retour de Strasbourg. Ça me met
un peu la pression, ’avoue. J’ai peur que mon accent de banlieusard me asse du tort. Je sais le contrôler, mais il ressort tou ours à un moment ou à un autre. En plus, Camille m’a dit que ses parents sont tous les deux des littéraires. Laisse tomber. J’ai l’impression d’aller passer un oral du bac, avec ce resto. Je sais très bien qu’ils pourraient conclure, comme plein de gens, que e suis un crétin uste parce que e parle pas exactement comme eux. Même si les gens qui pensent ça sont souvent des crétins eux-mêmes. Comme si l’intelligence se mesurait à sa açon de parler. Perso, e connais des mecs très cons qui parlent super bien et des mecs intelligents qui parlent comme des racailles. J’essaie de pas me polluer la tête en pensant à tout ça et de pro iter de ces dates avec mes gars.
Le tourneur a payé une chambre à Guillaume, le driver, pour qu’il se repose cet aprèm parce que c’est lui qui va conduire toute la nuit. Mais ’ai un doute sur le mec parce qu’il était là, à squatter le bar pendant toutes les balances. Il est resté pendant le concert après. Bre , il s’est déchiré toute la ournée et il a pas mis un pied dans cette putain de chambre.
Il est là, à traîner dans la loge après le concert, à umer de la eed avec nous.
– Mec, t’es pas censé te reposer pour conduire cette nuit ?
– Si mais t’inquiète, e pète la orme et ’ai pris des munitions. Cet abruti me sort deux cannettes de Red Bull des poches de sa
veste.
Y’a la meu du catering qui est là, à me tourner autour. Elle est carrément bonne mais elle m’intéresse pas. Elle me balance son décolleté sous le ne à la moindre occasion. Je connais les meu s et e sais quand elles ont tout pour que tu voies ce qu’il y a à voir, l’air de rien.
Moussa me ait un petit clin d’œil genre c’est du tout cuit. Je m’en tape.
Skeem vient se poser à côté de moi.
– Tu la chopes pas, la meu du catering ? Parce que, clairement, elle est d’accord.
– Nan, e m’en branle
– Je peux y aller alors ?
– Clair. Par contre, on se barre bientôt.
Skeem se prend un bon râteau et la meu me laisse son 06 comme si ’en avais quelque chose à battre.
Tout le monde s’est endormi dans le camtar. Guillaume est au volant.
On roule un long moment et e inis par m’endormir mais e me suis réveillé parce qu’il a mani estement décidé de s’arrêter sur un parking.
– Qu’est-ce que tu ous, mec ? Il est quelle heure ?
– Il est deux heures, aut que e dorme cinq minutes. Je pique un peu du ne .
– Évidemment, Ducon ! Le tourneur t’avait pris une chambre pour que tu pionces avant le tra et. Pas pendant !
– Désolé, Mike ! C’est vrai que ’aurais pu un peu me reposer mais t’inquiète. Je dors cinq minutes, après un Red Bull et roule ma poule.
– C’est ça, ouais…
Bouffon !
Je mate vite ait mon portable. Pas de ne s de Camille.
Je suis à nouveau réveillé mais cette ois par Moussa qui gueule qu’il ait super roid. Je regarde l’heure sur le tableau de bord. Trois heures vingt-cinq. Je ette un œil dehors et on a pas bougé de ce putain de parking. Il se out de ma gueule, ce ils de pute.