CAMILLE
Je me suis décidée à rendre sa chevalière à Mike. Je ne peux plus la garder, c’est celle de son père et e sais combien elle est importante pour lui. Il ne veut plus de moi, e dois la lui rendre. Il ne me l’a pas réclamée parce qu’il a coupé net les ponts mais e suis sûre qu’il aimerait la récupérer.
Bien sûr, avant de venir sonner à sa porte, e me suis assurée qu’il ne soit pas là. J’ai vu sur son site qu’il enchaînait plusieurs dates dans le Sud. Je sais que sa mère rentre à dix-huit heures du boulot, elle devrait être là. J’ai glissé la bague dans une enveloppe. Je ne pouvais que la remettre en main propre. Les boîtes aux lettres sont souvent ouvertes par les mecs qui traînent dans le hall. Mike m’avait expliqué que c’étaient des planques de deal. Et la laisser sur le paillasson, c’était encore plus risqué.
J’ai le cœur qui bat la chamade depuis que e suis descendue du RER. De re aire ce chemin. Tous ces lieux me ramènent inévitablement à nous, à lui. Il aisait tou ours le tra et depuis la gare avec moi parce qu’il avait peur que e me asse emmerder. Et il avait raison, à coup sûr les mecs du quartier m’auraient cherché des problèmes avec ma tête de bourgeoise. Cette ois, ’ai mis une grosse parka et un bonnet. Ça ne m’empêche pas de me aire repérer.
Évidemment. Y’a un mec, un petit rebeu tout nerveux, qui commence à m’emmerder mais heureusement, un des gars qui est là lui demande de me outre la paix parce que e suis la meu de Mike. Ça m’a serré le cœur, d’entendre ça. Je ne sais pas comment le gars me connaît parce que, moi, sa tête me disait rien du tout. Et pourtant, e suis physionomiste.
Quand e suis devant cette porte amilière, ’ai l’impression que c’est lui qui va m’ouvrir. Ce que c’est dur. C’est dur d’aimer quelqu’un qui ne veut plus de vous. Je n’avais amais ressenti cette douleur avant lui.
Je sonne. Pas de réponse. J’ai ait tout ce chemin pour rien. Je m’apprête à monter dans l’ascenseur quand ’entends :
– Mademoiselle ?
Ça doit être la grand-mère de Mike, il lui ressemble. Et puis, elle a un accent de l’Est asse prononcé. Je ne m’attendais pas à ce que ce soit elle qui ouvre la porte. Elle doit lire la surprise sur mon visage parce qu’elle se présente.
– Je suis… grand-mère de Mike. C’est lui que vous venir voir ?
– Bon our, oui, e viens lui porter une enveloppe. Je peux vous la con ier ? Il y a quelque chose de précieux pour lui dedans.
Par ré lexe, sa grand-mère tâte l’enveloppe entre ses mains toutes tordues par les rhumatismes.
– C’est chevalière de mon ils ?
Elle est mani estement émue. Sa grand-mère est vraiment touchante. Il y a beaucoup de bonté dans ses grands yeux clairs.
– C’est ça, oui.
– C’est vous, petite iancée ?
– J’étais sa copine, oui.
– Il avait dit à moi que la bague o ert à vous. Je croyais que lui, il a perdu la bague parce que lui amais il la quitte depuis…
Son visage se erme en une seconde.
– Lui, il doit beaucoup aimer vous pour la donner.
– On n’est plus ensemble, vous save ? C’est pour ça que e lui rends sa bague.
– Non, e savais pas… Mike pas bavard, comme Novak. Mais e doutais… lui, il est malheureux que vous l’avoir quitté.
– Je ne l’ai pas quitté, madame. C’est lui qui m’a laissée. Il vous a dit que c’était moi qui l’avais…
Elle ne me laisse pas inir ma phrase.
– Non, e penser ça parce que lui beaucoup triste.
Soudain, ’entends la voix de la mère de Mike.
– Vesna, avec qui vous discute ?
Elle ouvre un peu plus la porte.
– Camille ? Qu’est-ce que tu ais là ?
– Bon our madame.
– Comment tu vas ? Mike est en concert, tu sais ?
– Oui, oui, e sais… Je voulais uste lui apporter cette enveloppe. – Elle apporte bague de Novak.
– Je vois. C’est pas mes histoires, mais e suis désolée pour vous deux, vous avie l’air d’être bien ensemble…
Je lui ais un petit sourire gêné. Qu’est-ce que je peux dire ? Y’a rien à dire. Il n’a sûrement rien raconté de cette soirée avec Jalil à sa mère. Je suis au bord des larmes. Et ’ai un gros nœud dans la gorge. Il aut que e parte vite, avant que ça déborde. Je leur ais un petit signe de la main pour les saluer.
Ça m’a sonnée, de revenir ici.
MIKE
Je suis tellement crevé. Mehdi vient de me déposer en bas de che moi. Je prends l’ascenseur qui onctionne, pour une ois. La concierge me dit bon our. Elle m’a tou ours considéré comme un crevard mais maintenant qu’on commence à me voir dans les ournaux et même à la télé, la vieille, elle se dit que e suis devenu respectable. Je lui réponds même pas. J’aime pas les gens petits, comme ça. C’est une aible. C’est une moche. La médiocrité, ça me rend ou .
Ces dates dans le Sud, c’était lou. J’ai tellement picolé et umé que e me rappelle plus bien de tout. Mehdi m’a dit que c’était de la balle. Je lui ais con iance. Quand y’a un truc qui va pas, toute açon, c’est le premier à me prendre la tête.
Je rentre dans le salon, ma mère est en train de mater une de ces émissions débiles. Je sais pas pourquoi elle regarde ces conneries en continu. C’est abrutissant. Je veux dire, ma daronne, elle est pas con. Je comprends qu’elle ait besoin de se changer les idées mais e pré érerais qu’elle mate un ilm plutôt que ces conneries. C’est du temps perdu. On est pas venus sur terre pour ça, bordel.
– Ça s’est bien passé, tes concerts ?
– Ouais, e vais me coucher m’man, e suis na e.
– Ça va ?
– Ouais, ouais, c’est uste la route et tout, ça m’a crevé… J’ai pas beaucoup dormi.
Je plonge dans mon plumard et e m’endors direct.
Quand e me réveille, il est quator e heures. Je vois une enveloppe sur ma table de nuit avec mon nom écrit dessus. Je l’ouvre. Pas de mot. Il y a uste la chevalière de mon père que ’avais donnée à Camille. Je lui ai pas demandé de me la rendre parce que e voulais qu’elle la garde. C’est con, mais ça me donnait l’impression que ’étais encore un peu avec elle. Elle a vraiment ait de moi une baltringue, sérieux. Je glisse la chevalière sur mon annulaire et e suis presque en train de chialer. Putain, ça va me rendre dingue. On va dire que c’est la atigue.
Je vais voir ma mère qui est en train de aire la vaisselle dans la cuisine.
– Si e t’ai payé un lave-vaisselle, c’est pour plus que tu asses ça. – Je sais, mon ils, mais y’avait pas grand-chose…
Je pose l’enveloppe devant elle sur l’évier.
– C’est quoi ça ? Tu l’as trouvée où ?
– C’est Camille qui est venue la déposer hier.
– Tu l’as vue ? Elle est venue ici ?
Ma mère hoche timidement la tête. Elle sait pas si e vais me vénère. Elle n’a aucune idée de ce qui a pu se passer entre Camille et moi.
– Oui, c’est baba qui lui a ouvert. Tu sais, c’est le soir où elle a dormi là à cause de sa chaudière et…
Je l’interromps, e m’en branle complètement de ses histoires de chaudière.
– Qu’est-ce qu’elle a dit ?
– Rien… Juste qu’elle savait que tu tenais à ta chevalière et qu’elle te la rapportait.
– C’est tout ?
– Faudrait que tu demandes à ta grand-mère, c’est à elle qu’elle a parlé le plus.
– Putain !
– Mike, pourquoi vous ne recolle pas les morceaux, tous les deux ? Vous vous aime , ça crève les yeux.
– Laisse tomber, maman. C’est mieux comme ça.
– Mais qu’est-ce qui s’est passé, bon sang ?
– Laisse tomber, e te dis.
Je pars m’en ermer dans ma chambre. Et pour la première ois de ma vie, e pleure pour une nana. Comme un putain de gamin. Comme si cette chevalière, c’était la dernière chose qui me reliait à elle. Si Moussa me voyait, il se outrait de ma gueule usqu’à la in des temps. Il serait en boucle, c’est sûr et certain. Mais ça me ait du bien. J’ai l’impression d’évacuer un peu de toute cette colère qui me prend la tête, toute cette merde. J’espère que Camille s’est remise de ce bordel avec l’autre ils de pute de Jalil. Qu’elle est passée à autre chose. J’aime Camille mais e veux plus être avec elle, pour son bien. Si c’est pas ça, aimer vraiment quelqu’un, e sais pas ce que c’est.
CAMILLE
On a passé les êtes de Noël à la montagne avec toute ma amille, parents, grands-parents, oncles, tantes, cousins, cousines, on était au grand complet. On avait loué un chalet dans une petite station de ski du Jura. On était une bonne vingtaine, c’était oyeux. En in, ça l’était surtout pour eux. Parce que, moi, ’avais la tête dans un deux-pièces du dixième étage de la tour B d’une cité d’Al ortville.
Il avait raison, Mike. Je suis une bourgeoise. Une vraie. Je le constate encore ce soir. Je m’en suis vraiment rendu compte la première ois que e suis allée che lui. Finalement, e devais l’admettre, e n’avais amais réquenté de gens d’un milieu di érent du mien. Vraiment di érent, e veux dire. Dans mon entourage, on était plus ou moins aisé mais, en gros, c’était la même classe sociale. La classe moyenne un peu bourgeoise sur les bords. J’avais beau me raconter que le monde est ouvert, c’est aux. Mike était dans le vrai, il y a bel et bien tou ours des castes. Ce n’est pas acile d’en sortir ni d’y entrer. D’un côté comme de l’autre. Bien sûr, il y a des exceptions, mais les classes lutteront tou ours les unes contre les autres. De manière rontale ou insidieuse. Je ne voulais pas voir les choses comme ça, comme lui, mais c’est le cas au ourd’hui.
Évidemment, ’ai pensé à lui le soir de Noël. Encore plus que d’habitude. On était à table, tout le monde rigolait, parlait ort. On se gavait d’huîtres, de saumon, de oie gras…. Et e le voyais, lui, tout seul avec sa mère et sa grand-mère. Peut-être son rère. Et le souvenir de son père. Je sais combien Mike déteste Noël. Ça m’a rendue triste. Très triste. Ma mère, qui voit tout, s’est penchée vers moi.
– Arrête de penser à lui. Il ne te mérite pas, Camille.
J’ai ait un petit signe de la tête et ’ai retenu mes larmes pour ne pas gâcher la ête. Je sais qu’ils essaient de m’aider, mon père et elle, parce qu’ils ne m’avaient amais vue dans cet état. J’ai ait beaucoup d’insomnies ces derniers temps. Pas seulement à cause de Mike, mais aussi parce que e aisais pas mal de cauchemars. J’avais des lashs de ce Jalil. Et depuis cette histoire, e ne supporte plus l’odeur de la menthe. Sûrement parce que le mec avait bu un truc mentholé ou qu’il mâchait un che ing-gum. Rien que d’y penser, ’ai la nausée. Et puis, e revois Mike avec ses mains en sang et son air perdu à l’hosto. Alors, c’est sûr, e les comprends, mes parents, mais ça m’a ait du mal d’entendre que e n’avais rien à aire avec ce genre de racaille, que notre séparation était la meilleure chose qui me soit arrivée ou que e le valais cent ois.
C’est des conneries, parce qu’ils ne le connaissent pas. Mike, c’est un prince en vérité. Il aut uste gratter un peu pour s’en apercevoir. Il m’en a ait baver au début, mais on avait réussi à trouver notre équilibre avant Jalil. Cette histoire, c’est uste pas de chance. Certains diront que c’était prévisible, que nous deux, ça ne pouvait pas marcher. Des ois, e me dis que c’est comme si on avait voulu orcer le destin et qu’il nous rappelait à chaque ois à gros coups de trique qu’on n’avait rien à aire ensemble. Même si on s’aime.
Quand e me suis levée pour aller dans la cuisine et aider à la vaisselle, ma grand-mère m’a ait signe de la suivre. Elle m’a emmenée dans la chambre qu’elle occupait dans le chalet.
Elle a sorti son petit porte euille et s’est assise sur le lit. J’ai d’abord pensé qu’elle voulait me donner un petit billet pour me consoler, comme quand ’étais petite, parce qu’elle avait vu que ’étais triste. Mais elle a sorti une vieille photo en noir et blanc tout usée.
– C’est papi ?
– Non, ma chérie, c’est pas papi. C’est Mario.
– Mario ?
Je me suis assise à côté d’elle sur le lit.
– C’est mon grand amour.
– C’était pas papi, ton grand amour ?
– Ton grand-père, e l’ai rencontré après et on a été très heureux ensemble, mais ma véritable histoire d’amour, c’est lui, c’est Mario. – Je savais pas mamie. Maman ne m’en a amais parlé.
– Parce qu’elle ne sait pas, tiens, pardi. Je l’ai tou ours gardé pour moi.
– Pourquoi tu me le dis à moi, alors ?
– Parce que e me revois quand e te vois ce soir. Tu l’aimes tou ours, ce garçon, n’est-ce pas ?
– Oui…
– Alors, il aut que tu essaies de le récupérer. – Je peux pas, mamie, il ne veut plus de moi. – En es-tu si sûre ?
– Presque…
– Alors, c’est qu’il y a peut-être une chance. Mes parents n’ont pas voulu de Mario parce que c’était un immigré italien qui n’avait pas un sou en poche. À l’époque, on disait que les Ritals étaient sales
et voleurs. On les traitait de vermine. L’être humain est quand même étrange. Maintenant, tout le monde court dans les restaurants italiens. En in… J’ai dû me plier au bon vouloir de ma amille, mais ’ai tou ours regretté de ne pas m’être en uie avec lui. De ne pas avoir tenté le coup, comme on dit.
– C’est incroyable, cette histoire, mamie. Tu sais ce qu’il est devenu depuis ?
– Il a été marié et il est mort. C’est tout ce que e sais.
– C’est triste.
– Justement. Comment il s’appelle, ton Mario ?
– Mike…
Ma grand-mère a un petit sourire coquin qui ait pétiller ses yeux.
– Ça commence comme Mario… Va le voir. Appelle-le. S’il ne veut vraiment plus de toi, au moins tu n’auras pas de regrets.
MIKE
C’est le soir de Noël et e suis comme un con dans la caisse de cet enculé de Thomas. Il ait chau er son héro avec son briquet sur un petit bout de papier-alu. Il respire ça comme un taré. Dans le quartier, tout le monde l’appelle Dyson. Il sni e tout ce qu’il trouve. Saloperie de toxico. Il est complètement dé oncé. Qu’est-ce que je fous là, bordel ? C’est super glauque. Ce mec prend tellement de trucs qu’il a des chicots, laisse tomber. Tu sens qu’à la première occase, ses dents vont se aire la malle. Faut vraiment que ’aie pas envie d’être che moi pour pré érer être là avec ce camé. On devait bouger sur Paname et on est là, comme deux merdes sur le parking du Auchan parce qu’il a capté son dealer et qu’il a voulu consommer sur place. C’est le seul pote qu’a une caisse et qu’était pas en amille ce soir. Et pour cause, il en a pas vraiment. Pas trop d’amis non plus et encore moins de meu . Ce gars, c’est le clebs tout pouilleux que personne veut caresser.
Je tire sur mon oint et e mets le son à ond pour que ça recouvre un peu toute cette misère. Je pense à Camille. Elle adore Noël. Elle doit être en train de manger de la dinde avec des marrons et de boire du champagne. Peut-être même qu’elle a un nouveau mec et qu’il la tient par la taille en se marrant avec sa amille. Comme
dans les ilms américains. Fils de pute ! Je me ais pas du bien en pensant à tout ça.
Dire que pour moi, ça marche bien maintenant et que e suis tou ours dans ces plans pourris. Je demande à Thomas de se mettre à ma place, que e puisse prendre le volant mais il est dé à parti trop loin. Je sors de la caisse et l’abandonne sur ce putain de parking désert. Je lui prends ses clés quand même, qu’il ait pas l’idée d’aller se planter le soir de Noël. Je veux pas un truc de plus sur la conscience. L’histoire avec Jalil, ça me su it amplement. Je sais même pas s’il s’est rendu compte que e me suis barré. Soirée de merde.
Il pèle de ou dehors mais ça me remet les idées en place. Je longe la nationale en slalomant entre les panneaux publicitaires. Je shoote par ré lexe dans une cannette de 8.6 abandonnée. Elle était encore à moitié pleine et e m’en ous partout sur les pompes. La lose. Ma daronne va penser que e me suis bourré la gueule. Elle m’a dé à appelé quatre ois. Je la rappelle mais e me ravise parce que e sais qu’elle va me la ouer en mode « Tu te rends pas compte, mon ils, de ce que tu me ais, le soir de Noël. » Alors, e lui envoie un texto :
J’arrive.
Autant qu’elle me prenne qu’une seule ois la tête. Et puis de visu, elle aura plus de mal. J’en ai pour vingt bonnes minutes de marche.
Je mets mes écouteurs et e tire sur mon oint.
17
CAMILLE
Ça ait des semaines que e ne suis pas sortie. Quatre mois exactement. Pas un cinoche, pas un coup à boire, même pas en bas che Didier, rien. Que la danse. Fanny a bien essayé de me bouger un peu, sans succès. Elle a lâché l’a aire. Je la désespère, e crois. Autant que e désespère Ben amin qui me tanne depuis des semaines pour que e vienne à son anniversaire. Il ait une soirée che lui ce soir, il a son propre appart, il y aura toute la bande. Pas d’autres invitations. Plus de Mike. Aucune raison valable de re user, même si e m’en suis cherché, ’avoue.
Et puis, e connaîtrai tout le monde, ça me changera des soirées avec Mike où e me sentais toute seule la plupart du temps. Je me demande bien ce qu’il ait ce soir. Sûrement en train de baiser une espèce de groupie dans une loge. Ou pire, sa Coralie. L’idée me serre les tripes.
J’arrive essou lée en haut de la rue Lepic. L’immeuble de Ben amin est hyper bien situé. Ses parents ont les moyens et l’ont probablement aidé pour qu’il puisse s’installer ici. C’est devenu un coin trop touristique mais depuis que e suis toute petite, ’adore ce quartier. C’est le Paris des cartes postales.
La ête bat dé à son plein quand e sonne. Les basses de la musique se cognent à la porte. J’ai beau appuyer sur la sonnette et rapper, personne ne m’entend. Je sonne et sonne encore. On init par ouvrir. C’est Ben amin, il porte un tee-shirt blanc avec un col en V, un peu loose, qui met en valeur sa musculature ine, et un chino bleu marine. Il est tout transpirant.
– Dis donc, e suis vraiment si en retard que ça ?
– Non, pourquoi ?
– Je sais pas, t’as l’air bien trop en nage pour un début de soirée ! – Ouais, y’a dé à de l’ambiance. Mais entre ! Je suis vraiment content que t’aies pu venir, Camille, que tu sois en in sortie de ta tanière.
– Tiens, elle est raîche. Consommable de suite !
Il attrape ma bouteille de champagne et me ait signe de le suivre d’un geste de la main.
C’est la première ois que e viens che Ben amin. Ça ait à peine un an qu’il a son appart et e ne sais plus pour quelle raison e n’avais pas pu aller à sa pendaison de crémaillère. J’avais sûrement dû pré érer rester avec Mike, comme souvent. C’est très sympa che lui. Chaleureux. On s’y sent instantanément bien.
– Tu veux un truc à boire ? Y’a Mathilde qui tient un stand mo ito dans la cuisine !
– Volontiers.
– Je t’apporte ça ! Mathieu et Élise sont dans le salon si tu veux. Ça aisait longtemps que e n’étais pas allée à une ête aussi réussie. Même à mon anniversaire, on ne s’est pas autant lâchés. Les mo itos de Mathilde y ont sûrement été pour beaucoup. Dans les soirées avec les potes de Mike, c’est vraiment di érent. Je sais que s’ils avaient été là ce soir, ils auraient passé leur temps assis sur le canap à se outre de notre gueule et à umer. En ait, ils sont
tou ours dans le contrôle, aut surtout pas s’a icher. Moi, ce soir, ça me ait un bien ou de me laisser aller complètement. Je suis un peu bourrée. On peut dire que ça aura été l’année la plus alcoolisée de toute ma vie. La musique est bonne, e danse presque sans m’arrêter. Ben amin ne me quitte pas du regard. Et contre toute attente, ça me plaît, ce petit eu avec lui.
J’ai soi . Je commande à Mathilde un nouveau mo ito et me pose sur le canapé deux minutes. Ben amin vient s’asseoir à côté de moi. Il pose son bras autour de mes épaules et, sans dire un mot, m’embrasse. Je me laisse aire. C’est agréable. L’alcool a pris le contrôle et ça me va. Je glisse mes mains sur son dos. Il relâche son étreinte pour me regarder dans les yeux.
– Dis-moi, t’es plus avec ton rappeur ?
– Oh non ! C’est bel et bien ini, il m’a etée.
– Quel abruti !
Il m’embrasse de nouveau et m’emmène dans sa chambre. Quand e suis étendue sur son lit, qu’il enlève son tee-shirt pour venir s’allonger près de moi, e ressens un léger sentiment de culpabilité.
– Ben, e suis pas amoureuse de toi, tu sais…
– T’inquiète pas pour moi, Camille, ’ai très envie de toi, c’est tout.
J’ai trouvé ça vraiment étrange, de aire l’amour avec un autre garçon que Mike. Une autre bouche, une autre peau, d’autres caresses, même dans ce moment intime avec un autre, e ne peux pas m’empêcher de penser à lui. Il me ait chier, ce petit con, à tou ours venir polluer mon esprit. Avec Ben amin, ce n’était pas aussi ort qu’avec Mike, mais c’était pas mal quand même. Les danseurs ont l’avantage de connaître par aitement le corps, on sait le maîtriser. Mais la technique ne ait pas tout.
La peau de Mike, son odeur, son côté viril et doux, c’était la potion par aite. Mais ce n’est plus moi qui ai la chance d’y goûter. Je m’endors dans les bras de Ben amin en pensant à Mike dans les bras d’autres illes.
Le lendemain, quand e me réveille et que e retrouve mes esprits, e me demande bien ce qui m’a pris, de coucher avec un pote. Mon meilleur pote. Ça me paraissait une super idée hier soir. Ce matin, e me dis que c’est du grand n’importe quoi. Je soulève tout doucement le bras de Ben amin qui entoure ma taille et décide de uir en toute lâcheté. Il grogne un peu mais ne se réveille pas. Il avait beaucoup bu aussi, e crois. Je ne sens pas trop la discussion du matin entre les deux amis, gênés d’avoir couché ensemble.
Une ois che moi, e ile dans la salle de bains. Avant d’entrer dans la douche, e prends mon portable pour mettre de la musique. Spoti y me suggère d’écouter une nouveauté. C’est l’album de Mike. C’est dingue. Ironie des algorithmes. Je viens de coucher avec un autre garçon et quand ’allume mon portable, c’est la tête de Mike qui s’a iche sur mon écran. J’appuie sur play. C’est le destin, il aut que e l’écoute. Ça me bouleverse, d’entendre sa voix. J’étudie chacun de ses mots, e décortique chacune de ses paroles. Et arrive une chanson qui s’appelle Ma came. J’étais censée prendre une douche mais e n’arrive pas à interrompre ce moment. Je pleure tout ce que e peux. Cette chanson, c’est moi. Il parle de la drogue mais e sais que c’est de moi qu’il parle en vérité. Je remets le morceau trois ois de suite.
MIKE
L’Olympia, putain ! Ma gueule en haut de l’a iche. Ma daronne, elle était comme une dingue. Je pense que c’est là, à l’entrée de la salle, quand elle a vu mon nom en lettres rouges, qu’elle s’est dit : « Ça y est ! C’est son vrai métier. »
J’ai tout baisé ce soir. J’avais la pression. Et e suis meilleur quand ’ai la pression. On a oué complet. C’est pas rien. Même si e sais qu’il y a tou ours un prochain step. On peut tou ours aire mieux. Plus grand. Plus ort.
L’album est sorti il y a quelques semaines. Ça a bien pris et on a pété le score. Ils ont étudié le truc, che Universal. Avec Mon tiesk, il y a eu une vraie bascule sur les réseaux sociaux. Le bu est monté hyper vite. On a ait beaucoup de dates. Je suis rincé.
Je suis sur le canap de la loge, entre mes ambes y’a une meu à genoux en train de me sucer. C’est dingue, comme le succès te rend irrésistible. Je pourrais me taper un nombre incalculable de gon esses. Mais en vérité, ça me ait pas ki er tant que ça, la baise pour la baise. Je suis pas un queutard comme Skeem. Au début, ça a un côté excitant et puis au inal, ça devient une routine. Bon, là, quand même… L’Olympia ça se ête !
Mon téléphone vibre sur l’accoudoir. Merde ! Font chier ! Machinalement, e regarde le nom qui s’a iche sur l’écran. Camille. Je me dis que ’hallucine. Je laisse pas la meu inir et e la dégage pour choper mon phone. Elle râle mais e m’en ous. Camille qui m’appelle. C’est peut-être grave ? Je dis à la gon esse, le plus gentiment possible, de outre le camp. Je sais, c’est vraiment pas classe, voire carrément salaud. Je suis un en oiré des ois. Mais là, c’est le dernier de mes soucis. Elle se barre. Je erme ma ceinture et la porte, à clé. Je vais dans les appels manqués, e sélectionne le numéro de Camille et e la rappelle. Les sonneries ont accélérer mon rythme cardiaque de ou .
– Mike ?
– Camille…
Ça me ait vraiment un truc, d’entendre sa voix.
– Tu m’as appelé ? Il se passe un truc grave ? Je me dis que c’était peut-être uste une erreur. – Non, e voudrais te parler. On peut se voir ? – Je sais pas si c’est une bonne idée, Camille. – Tu peux pas m’accorder dix minutes ?
– Si…
– Quand ?
– Je sais pas… Maintenant ?
– OK, t’es où ?
– Je suis à l’Olympia. Je viens de aire un concert.
– L’Olympia ! Dis donc ! Ça marche vraiment bien pour toi… – T’as écouté l’album ?
– Oui, ustement… Tu veux qu’on se retrouve dans le coin ? C’est pas très loin pour moi.
– OK.
CAMILLE
J’ai les ambes qui tremblent, tellement e suis émue de le revoir. Et ’ai peur de lui dire ces mots que ’ai retournés plein de ois dans ma tête. Ce que m’a raconté ma grand-mère le soir de Noël a ait son chemin. Et puis, ’ai écouté son album plusieurs ois au ourd’hui. Je l’ai appelé tout de suite après, sans ré léchir.
Il arrive. Tout en noir avec ses cheveux rasés. Un guerrier, comme la première ois que e l’ai vu monter sur scène. J’ai envie de coller ma tête contre son s eat à capuche. Qu’il me prenne dans ses bras. Rien n’a changé. Je l’aime.
– Camille !
Il n’est pas à l’aise. Il me ait la bise. C’est bi arre.
– Ça va, Mike ?
– Ouais ! On se pose dans un rade ? Sinon, y’a le bar de la salle… – Comme tu veux, le plus tranquille.
– Le bar de la salle. Y’a plus que les roadies qui remballent. Et ’ai un pass, madame !
Il me ait un petit sourire qui ne m’aide pas du tout à maîtriser mes émotions.
– Je vous suis, Ô Grande Star du rap qui oue à l’Olympia ! Il se marre. C’est dé à un bon début.
On avance dans le long couloir qui mène au bar. Il y a plein de miroirs aux murs. Je regarde notre re let. L’un à côté de l’autre comme si on était encore un couple. On croise quelques mecs qui lui disent combien il est génial et combien il a tout déchiré ce soir. Je me dis que ’aurais dû choisir le bar d’à côté, plutôt.
– Tu veux boire quoi ?
– Un verre de vin rouge.
Il a l’air surpris.
– Y’a du changement !
– Faut croire…
Il revient avec une bière et un verre de vin pour moi. On s’assoit sur les marches ace au bar. Je me lance.
– Bon, Mike. Voilà, e voulais savoir si tu pensais vraiment ce que tu m’as dit quand on s’est séparés.
– Camille, tu ais quoi là ?
– Mike, s’il te plaît, e peux pas m’être plantée à ce point sur toi. – Peut-être que si…
Je bois une grande gorgée de vin.
– Écoute, e vais être claire : e t’aime.
Je crois voir de l’émotion passer dans ses yeux mais il reste sans réaction.
– Pas moi, Camille.
Je suis abasourdie. Je ne m’attendais pas à ça. Je pleure carrément.
– C’est vrai ? Parce que ça m’a demandé beaucoup de courage, de venir te dire ça.
– Oui. C’est vrai.
– Ton morceau, Ma came… c’est… pas moi ?
– Rien à voir.
Il a répondu du tac au tac.
– OK.
Je me lève et e pars en courant. J’ai renversé le verre de vin qui roule sur les marches et se brise sur la moquette rouge. Je ne me retourne pas.
MIKE
Qu’est-ce que ’étais censé dire, bordel ? Bien sûr, que e l’aime. Ça m’a tellement retourné, quand elle m’a dit qu’elle m’aimait tou ours. J’ai rien ait pour mériter l’amour d’une ille comme elle.
– C’était qui, cette meu ?
J’ai même pas besoin de me retourner, e reconnais tout de suite la voix de mon rangin. Il vient se poser sur la marche à côté de moi, là où Camille était assise il y a à peine quelques secondes.
– Faut que e passe à l’Olympia pour que tu daignes venir me voir ?
– C’est la mère qui m’a orcé ! Alors, c’était qui, cette meu ? – Camille.
– Ton ex ?
– Ouais.
– Ah ouais ?
– Quoi ?
– Nan rien, e sais pas… Elle est venue te voir.
– Putain, Lukas, on dirait la daronne !
Silence.
– Elle est pas venue voir mon concert, si tu veux savoir. Elle est venue me parler.
Mon rangin me regarde avec un air sérieux. C’est pas son habitude. Il est plutôt du genre à se outre de ma gueule à la moindre occasion.
– Elle voulait quoi ?
– Me dire qu’elle m’aimait tou ours.
– Bordel ! Et toi, t’as dit quoi ?
– Que moi pas.
– Quel con, sérieux.
– Je t’emmerde !
– Tu l’aimes ! C’est quoi, l’histoire ? Elle t’a trompé ?
– Nan, c’est pire que ça… Elle a ailli se aire violer par un ils de pute à cause de moi. Je la protège en restant à distance.
– C’est quoi cette embrouille, encore, Mike ?
Je lui raconte toute l’histoire avec Jalil. Il reste un petit moment sans rien dire.
– OK ! Mais t’as rien à voir avec ça, mec ! Même si t’as ait des petites conneries, t’es mon rère, e te connais par cœur et e sais que t’es un gars bien. Je vais te dire ton problème : c’est que t’as trop de principes. La loyauté, la ierté, tout ça c’est bien, mais aut pas que ça vire à la connerie. C’est pas de chance, cette histoire, c’est tout. Tu te prives d’elle pour rien. Tu veux aire quoi, en agissant comme ça avec elle ? Le martyr ? C’est une meu canon et tu la ais chialer…
– Je sais, putain !
– Alors quoi ? Tu restes là comme un con ?
– Non !
Il a raison, Lukas, e suis vraiment qu’un débile. Je sors de l’Olympia et e commande un Uber. Maintenant, e peux aire ça sans penser à l’addition. Je commence à mailler avec le rap. J’ai dit au revoir à personne mais e m’en ous.
Je vais la retrouver che ses parents. Je sonne à l’interphone. C’est sa mère qui me répond. L’accueil risque d’être un peu roid, mais aut que e voie Camille.
– Oui ?
– Bon our madame, c’est… Mike… Mickael.
Elle dit rien. Gros blanc. Malaise.
– L’ancien cop…
– Oui, e vois très bien.
– Est-ce que e peux parler à Camille s’il vous plaît ?
– Mais Camille n’habite plus ici.
– Ah ?
– Je ne peux pas vous donner son adresse. Vous comprene , e ne sais pas si elle serait d’accord.
Je suis là, sous la pluie, à me les geler, à parler à ce putain d’interphone. Et ’aimerais bien qu’elle crache le morceau mais e peux pas la bousculer.
– OK, e comprends.
– Appele -la…
– OK ! Bonne soirée, madame.
– Bonne soirée, Mike.
Je vois pas comment e vais aire. Si e l’appelle, elle répondra pas et e pré ère la voir. Ma seule option, c’est Sylvain.
– Sylvain ?
– Mec, t’as grave déchiré ce soir ! J’ai pas réussi à te choper après…
– Ouais, c’était la olie ! J’étais assiégé. Laisse tomber.
– La rançon du succès !
– Faut croire. Dis-moi, mon pote… T’aurais l’adresse de Camille ? – Quoi ?
– Camille ! Je reviens de che ses parents, là, et elle y habite plus. Je suis sûr que tu sais où elle crèche.
– Ouais, elle a pris un appart… Mais tu revois Camille ?
– Elle est venue ce soir et ’ai grave merdé. C’est chaud ! Faut que e la voie. T’es le seul qui peut m’aider sur ce coup-là ! Tu la croises tou ours, non ?
– Bah oui, c’est la meilleure pote de ma meu .
– Vas-y, ile, e veux uste lui parler…
– OK, elle est rue de Marseille dans le Xe. Attends, e regarde le numéro dans mon portable… Elle est au 6 et y’a un code, c’est le 85A18.
– OK merci ! T’es un rère.
– Tranquille, hein, Mike ? Elle a mor lé…
– Je sais ce que ’ai à aire. Tu me prends pour qui ?
En vrai, ’ai pas tellement idée de ce que e dois dire ou aire. Tout ce que e sais, c’est qu’il aut que ’y aille. C’est dé à un début.
CAMILLE
Je suis rentrée che moi à pied de l’Olympia. Je suis trempée, mais ’avais besoin d’évacuer physiquement la douleur que Mike m’a in ligée. Une nouvelle ois. Il n’a même pas cherché à me rappeler. Il était tellement dur, tellement ermé. Comme quand il m’a quittée après l’hôpital. Je suis passée pour une conne à lui demander si sa putain de chanson, c’était la mienne. Quelle abrutie je fais ! Merci mamie ! Je n’aurais amais dû suivre ses conseils. Au moins, avant, ’avais un doute. Je pouvais me dire qu’il m’aimait encore en secret, que ce titre, c’était pour moi qu’il l’avait écrit. Maintenant, c’est le néant. Il ne m’aime pas. Ne m’a sans doute amais aimée. J’arrive au coin de ma rue et e vois qu’il y a un gars qui traîne devant mon porche. Je ne le reconnais pas tout de suite avec sa grosse parka et sa casquette.
– Mike ? Qu’est-ce que tu ous là ?
– Putain, Camille ! Faut qu’on se parle.
– On s’est tout dit non ?
– Non. J’ai été con. Je… e tiens à toi.
– Ah oui ? Et pourquoi tu ne m’as pas dit ça tout à l’heure ?
– Parce que e suis un peu lent, comme garçon. Je voulais te protéger de moi. J’ai… ’ai pas supporté ce que Jalil t’a ait, tu vois ?
C’était ma aute et…
– Non, c’était pas ta aute ! Arrête avec ça. C’était une bonne excuse pour me larguer, c’est tout.
– T’es ou ou quoi ? Tu peux demander à ma daronne si tu me crois pas ! J’ai amais été aussi mal de ma vie. Au début, e pouvais même plus manger… C’est pour toi que ’ai rompu, pour pas que tu sois malheureuse à cause de moi.
– Mais le résultat est le même, e suis malheureuse à cause de toi parce que tu m’as larguée, et pas en douceur. J’aurais pré éré être malheureuse avec toi que malheureuse sans toi.
– Je suis désolé, Camille…
– Garde ta pitié.
Je tape le code. Il m’attrape par la main alors que e pousse la porte cochère.
– Camille, attends…
– Quoi ?
– Je t’aime. J’ai amais aimé une meu comme ça. J’ai amais aimé une meu tout court… Ça me gave tellement, e pense à toi tout le temps. Laisse-moi entrer, aut qu’on discute.
Dans la oulée, il m’embrasse. Et e peux rien aire d’autre que de le laisser aire. Retrouver sa bouche, ses bras, ses mains, son par um, c’est tout ce que ’attendais depuis des mois.
MIKE
Je la suis dans les escaliers. Elle habite au sixième sans ascenseur. On se dit pas un mot. Je regarde ses cheveux mouillés qui dégoulinent sur son imper et e devine son cul qui se balance à chaque marche. J’ai grave envie d’elle. Il m’a tellement manqué, son cul. Tout m’a manqué. Elle ouvre la porte de son appart et allume la lumière. C’est tout petit, mais c’est chouette. Des poutres, du parquet, des photos de danse. Simple. Classe. Camille.
Elle retire son manteau et ile dans la salle de bains.
– Pose ta parka sur un des tabourets du bar, ’arrive, e vais chercher une serviette. T’en veux une ?
– Ça va, e lui dis en me rottant la tête. J’ai plus de cheveux, maintenant.
Elle me sourit. Son sourire de gentille ille que e ki e trop. Quand elle revient, elle me balance une serviette.
– Tiens, ça te servira quand même !
Elle s’essuie les cheveux. Tou ours aussi gracieuse. À travers son tee-shirt humide, e devine ses seins. Et e bande directe. Ça se ait pas. C’est pas romantique, mais c’est un ait.
– Je peux m’asseoir ?
– Je t’en prie.
Je me pose sur le canapé.
– C’est bien, che toi !
– C’est petit mais c’est che moi. Et, grand luxe… ’ai une chambre ! J’ai visité plein de studios qu’étaient tops mais e me voyais pas dormir tout le temps dans mon salon. J’ai pris celui avec le plus de travaux, du coup.
– C’est toi qu’as tout re ait ?
– Oui, en in pas toute seule, mon père et mon oncle m’ont aidée. – N’hésite pas si t’as encore des trucs à aire, e pourrai te iler un coup de main.
– Tu sais bricoler, toi ?
– Je dirais même que e maîtrise. Je aisais les chantiers avec mon père l’été…
J’ai droit à un petit sourire un peu gêné qui me dit : « C’est noté, mais on n’en est pas encore là, mon petit gars. Je te rappelle que tu m’as etée il y a à peine une heure. » C’est ou , tout ce que Camille arrive à dire sans prononcer un seul mot.
– Tu veux boire quelque chose ?
– Ouais, t’as quoi ?
– Il me reste des bières, sinon e peux ouvrir une bouteille de vin. – Tu picoles, maintenant, ma parole !
– Nan, ’ai ait une pendaison de crémaillère ! C’est les restes. – Une bière, c’est bien.
Elle passe derrière le bar de la cuisine ouverte et m’ouvre une bouteille.
– Tiens !
Quand e l’attrape, nos mains se rôlent et elle retire la sienne immédiatement, comme si elle venait de se brûler. Je l’ai pourtant embrassée il y a quelques minutes mais elle regrette peut-être.
– T’as eu ton concours, alors ?
– Ouais ! Je suis su et maintenant, ça y est !
– Je savais que t’y arriverais, que tu lâcherais pas !
– Mais ça s’arrête là.
– Comment ça ? Tu veux plus être étoile ?
– C’est plus possible, en ait. À cause de ma hanche, tu te souviens ?
– Bien sûr que e me souviens… Ça s’était arrangé, non ?
Elle oue avec une de ses bagues en regardant ixement ses mains.
– Oui, mais ’ai eu à nouveau des douleurs qui m’ont ait manquer pas mal de répétitions, c’est une ragilité que ’ai maintenant. Et puis de toute açon, e suis pas sûre d’avoir le niveau. J’ai mis un peu de temps à le comprendre, et encore plus à l’accepter mais… maintenant ça va ! Je suis passée à autre chose.
Ça me out trop les ner s pour elle.
– C’est chaud, e suis désolé pour toi. Tu vas aire quoi, du coup ? – Je pourrais rester su et toute ma carrière à Garnier, mais ça me branche pas trop. Je vais plutôt chercher une compagnie plus contemporaine. J’essaie pas mal de trucs en ce moment. Je me suis mise au hip-hop, même !
– Ah ouais ? Je vais t’engager pour mon prochain clip.
Elle ait une moue en ronçant le ne .
– Je débute, hein ! Et c’est pas du break dance non plus. Avec ma hanche e peux pas aire des trucs trop acrobatiques, mais ’adore. Et c’est comme ça que ’ai rencontré un chorégraphe contemporain avec qui ça pourrait le aire.
– « Le aire » ? Genre, vous sorte ensemble ?
– Mais non, Mike, pro essionnellement parlant ! Si e sortais avec un mec, e serais pas venue te voir ce soir.
– Tant mieux.
– Cette histoire de hanche, ça m’a ait vachement ré léchir sur ma vie. Je pense de plus en plus que la carrière, c’est pas le plus important, que l’Opéra c’est pas tout. J’ai envie de me poser dans la vraie vie, aire des en ants… tout ça !
Elle sourit, attrape ses longs cheveux et les enroule sur sa tête pour se aire un chignon. Elle a des petites chaînes en or toutes ines qui s’agitent autour de son cou et qui tombent dans son décolleté. C’est délicat. C’est Camille. J’ai envie d’elle.
– Ah ouais ? Avec qui tu vas les aire, tes en ants ?
Ses yeux se plantent dans les miens. J’avais presque oublié comme son regard est puissant.
– Celui qui sera d’accord…
– Ton chorégraphe, là ?
– Non.
– Moi, e t’en ais, des mômes, si tu veux…
– Mike, dé à on n’est plus ensemble, et puis t’as que vingt et un ans, t’es en pleine montée avec ton rap…
– Et alors, e m’en ous, ça me dirait bien d’avoir une mini- Camille. Peut-être pas tout de suite, mais d’ici quelques années.
– Dit le gars qui n’a amais voulu rencontrer mes parents et qui m’a larguée comme une malpropre !
Je baisse la tête et e regarde ma bière comme si c’était le truc le plus intéressant du monde. Je dis rien. Alors, elle continue.
– Et toi ? Ça marche ort on dirait.
– Grave ! J’ai charbonné comme un dingue ces derniers temps et ça a payé. T’as écouté l’album ? T’as aimé ?
– Beaucoup ! Il est vraiment réussi.
– Il aut que tu viennes au prochain concert, ça a pas mal changé depuis que… En in, depuis la dernière ois que tu m’as vu.
– Tu vis tou ours che ta mère ?
– Pour l’instant, ouais. Je mets de l’argent de côté pour l’installer dans un appart correct, tu vois.
– Tou ours la amille ! C’est bien, e suis ière de toi.
Ça me touche vachement qu’elle dise ça.
– Camille ?
– Mmmh ?
– J’ai envie de toi.
Je me rapproche d’elle et e replace derrière son oreille une de ses mèches de cheveux mouillée qui était restée collée sur son visage. Elle rotte sa oue contre mon pouce. J’aime tellement cette meu .
On ait l’amour comme des dingues sur son canap. Des vrais morts de aim. Comme si on n’arrivait pas à se rassasier l’un de l’autre tellement on était en manque. C’est tellement bon, de la retrouver. D’être en elle. Y’a qu’avec elle que c’est si bon.
Je me sens bien pour la première ois depuis des semaines. Je me rendais même plus compte à quel point ’étais mal sans elle. Elle est nue sur moi et e lui caresse le dos du bout des doigts.
– T’as roid ?
– Un peu…
– On va dans ton lit ?
On se glisse tous les deux sous sa couette. Elle se colle contre moi, sa tête sur mon torse.
– Je peux umer une clope ?
– Oui, prends le verre, là, sur la table de nuit, comme cendrier. – Comme d’hab…
– Comme d’hab.
J’allume ma garot et e prends une longue ta e que ’expire tout doucement.
– Cette chanson, c’était bien la tienne, Camille. Mais tu le sais.
Elle remue uste un peu la tête pour dire que oui, elle savait. – Tu m’as manqué de dingue !
– Toi aussi, Mike. Je pensais pas qu’on se retrouverait. En in, ’y croyais su isamment pour t’appeler quand même, mais e lippais que tu te sois remis avec quelqu’un.
– Non t’es ou . Par contre, e vais pas te cacher que ’ai un peu… – Couché avec des meu s ?
– Mais pas beaucoup.
– Je me doutais bien. J’espère uste qu’il n’y a pas eu Coralie dans le tas…
Ça part mal. J’ai pas envie qu’on se dispute. Mais ’ai pas envie de lui mentir non plus. Faut qu’on reparte sur de bonnes bases.
– Je vais pas te mentir.
Elle se détache de moi. J’en étais sûr. Ça va être la merde !
– T’es sûr que c’est pas en pensant à elle que t’as écrit ton morceau ?
– Arrête, tu sais très bien. Le titre, c’est Ma came. Y’a pas d’ambiguïté. Coralie, c’était la solution de acilité. J’avais pas envie de draguer, ni rien. Mais allait que e me change les idées, tu comprends ? Que ’arrête de penser à toi… J’imaginais pas qu’on pouvait rester bloqué comme ça sur une meu , t’étais tout le temps dans ma tête.
– Et les autres ?
– Des meu s comme ça, en soirée, aux concerts. Je sais même pas leur nom…
– Beaucoup ?
– Non, pas trop en ait. Et puis, ’ai amais dormi avec une autre meu depuis toi.
– C’est censé me rassurer ?
– Je sais pas, mais c’est la vérité. Et toi ?
– Tu veux savoir maintenant ?
– Ouais… – Un seul. – Quoi ?
Je me lève direct et e m’assois sur le rebord du lit. Je lui tourne le dos. Je peux pas la regarder. C’est na e mais e contrôle pas ma réaction. Je voulais tellement qu’elle me dise : « Non, personne Mike, ’attendais que toi. »
– Mike. J’ai couché une ois avec un mec, ça va !
– C’est qui, ce bâtard ?
J’ai envie de me barrer tellement e suis urax contre elle. C’est ridicule, e sais. Je me suis tapé des meu s, elle s’est tapé un mec. Un partout, la balle au centre. Et encore, si e suis honnête, c’est même moi qui garde l’avantage. Mais c’est pas pareil. Dans ma tête, c’est pas pareil.
– Ben amin, un des danseurs de la troupe.
– Pu-tain ! Je pensais qu’ils étaient tous un peu pédés, les danseurs.
– Bah non, tu vois…
– C’est un des mecs qu’est venu à mon concert ?
– Oui.
– Le renoi ?
– Oui, toi qui te rappelles amais les prénoms, tu te souviens de Ben amin ?
– Non.
– Pourquoi t’as dit « le renoi » alors ?
– C’est la açon dont il te regardait, la açon dont il m’a serré la main. J’y crois pas, Camille, e pensais que t’étais une ille sérieuse, pas que tu coucherais avec le premier venu !
– Tu rigoles, là ? Toi, t’as le droit de te taper tout ce qui bouge et moi, e peux pas coucher uste une ois avec un mec ! En plus, on était un peu bourrés et on a tous les deux regretté après.
– Je suis désolé, Cam, t’imaginer avec un autre mec, ça me rend dingue. Faut que ça passe…
Je reste une bonne minute sans la regarder et sans dire un mot avant de reprendre :
– Mais e sais que e veux être avec toi. C’est le seul truc qui compte.
Elle s’approche derrière moi et m’entoure avec ses bras tout ins. Je sens son cœur battre dans mon dos.
– Mike…
– Je suis désolé pour ta hanche, pour ta danse et de pas avoir été là pour toi à ce moment-là. De tou ours réagir comme un con, aussi. – Ça va…
Elle embrasse mon épaule en ra ale. Je me retourne et lui roule une pelle.
– Je t’aime trop Camille.
– Moi aussi e t’aime, Mike. Beaucoup trop.
CAMILLE
C’est pile à ce moment que son téléphone sonne.
Je regarde sur la table de nuit où il l’avait posé et l’écran a iche « Coralie ». Putain ! C’est pas possible. Cette meu sera tou ours entre nous.
– C’est ton autre emme, e crois !
– Quoi ?
– Coralie.
– Laisse tomber, on s’en out. Elle m’a dé à appelé plein de ois cette semaine mais e l’esquive. Faut que e la bloque.
Le téléphone sonne et sonne encore. Sans s’arrêter.
– Vas-y, réponds !
– Non.
– Quoi ? T’as des trucs à cacher ?
– Non.
– Alors réponds, bordel !
Je suis plus qu’en colère. Cette soirée met mes ner s à rude épreuve. Il répond pour me prouver que tout est clean.
– Quoi ? Pourquoi tu me harcèles, là ? Je suis avec ma meu . Je suis rassurée. Il lui a dit clairement qu’il était avec moi.
– Oui, e suis retourné avec elle. Nan, ça ait pas longtemps mais ça te regarde pas… J’ai tou ours été super clair avec toi, Coralie ! Vas-y, dis-moi. Quoi ? Non, on se capte pas. Tu peux pas me dire par téléphone ?
Je suis surprise de la açon dont il lui parle. Il est super roid avec elle, limite méchant.
– Quoi ? Tu te ous de moi ? T’as trouvé que ça, sérieux ?
Il va s’en ermer dans la salle de bains. Il se passe un truc. L’angoisse m’envahit. On vient uste de se retrouver mais il se passe quelque chose, e le sens dans mes tripes. J’essaie d’écouter à la porte mais il ne parle pas ort. Quand il ressort, il a l’air bouleversé. – Qu’est-ce qui se passe Mike ? Y’a un problème ?
– Oui.
– Quoi ?
– Coralie est enceinte… de moi. Elle a réussi son coup, cette salope ! Elle veut me coincer.
Je suis complètement abasourdie.
– Mais… mais vous vous protégie pas ? Elle prend pas la pilule ? Je sais pas, vous êtes débiles ou quoi ?
– Mais si, putain ! J’ai tou ours mis des capotes avec elle ! Cette conversation me ile la gerbe.
– Y’a dû y avoir un accident, e sais pas.
– Mais c’est peut-être pas toi, le père ?
– Je la connais Coralie, elle baise qu’avec moi…
– Et ben par ait ! C’est pas une pute qui couche avec le premier venu, elle ! Vous alle pouvoir continuer à baiser ensemble tranquillement. La olie petite amille !
– Camille !
Il pleure. Je crois qu’il pleure. Une larme coule sur sa oue. C’est la première ois que e le vois pleurer. Il est assis sur le lit, la tête
entre ses mains, et e viens me glisser entre ses ambes. Je lui relève le menton avec mon doigt. Il chiale comme un gamin.
– Mike… Et elle, elle en dit quoi ? Elle veut avoir cet en ant, tu crois ?
– Tu la connais pas. C’est sûr qu’elle veut le garder. Et puis, de toute açon elle m’a dit qu’elle avait dépassé le délai légal…
– On vient à peine de se retrouver que c’est dé à le bordel… – Je sais pas quoi aire, là.
– On va trouver une solution. Viens ici…
On a ait l’amour comme si c’était la dernière ois et il s’est endormi uste après dans mes bras. D’un coup.
Quand e me suis réveillée le lendemain matin, il n’était plus là. Pas de mot.
Rien.
ÉPILOGUE
MIKE
Cette histoire avec Camille, ça ait presque dix piges. J’ai tou ours gardé le souvenir d’elle en oui quelque part. Je pensais qu’on se retrouverait, au début. Qu’elle était tellement amoureuse de moi, surtout après ce qu’elle m’avait dit le soir de l’Olympia, que de toute açon elle reviendrait me chercher un our ou l’autre. Mais elle l’a pas ait.
J’avais choisi de me mettre avec Coralie parce qu’elle attendait mon en ant et qu’elle voulait le garder. Même si elle savait très bien que ’aimais Camille, y’a rien eu à aire, elle voulait pas entendre parler d’avortement. Et puis, elle avait dépassé les trois mois. On aurait pu aller en Belgique ou en Espagne, e pouvais tout payer, mais elle était dé à maman dans sa tête. Quand e suis allé la voir le lendemain, elle m’a montré l’échographie. Ça m’a grave perturbé. Je pouvais rien aire d’autre que d’assumer. C’est ce que mon père m’aurait dit de aire. La amille avant tout. Alors, ’ai sacri ié mon histoire avec Camille. Encore une ois. Une dernière ois.
On a loué un appart avec Coralie, à Al ortville mais pas dans les tours. Dans une résidence pas mal. Un truc tout neu qui donne sur les rails du RER D. Avec les bons droits Sacem que ’ai touchés et l’argent que ’avais mis de côté, ’ai acheté un petit appart à ma
mère. Ironie du sort, c’est Ma came qui m’a rapporté le plus. Morceau le plus streamé de l’année. Je l’ai mise bien, la daronne. Petit deux-pièces à Maisons-Al ort, au bord de la Seine, ça claque. Maintenant, cette ville, c’est devenu boboland. Faut voir les tarots de l’immobilier. Tous ceux qu’ont plus les moyens d’habiter Paris viennent squatter nos banlieues. Les coins pourris, ça les gêne pas trop, ils savent que ça va dégager. C’est une question de temps. Ces gens-là pensent utur, plus-value. Ils sont même prêts à ce que leurs gamins aillent en ZEP le temps que tout se cleane un peu. Du coup, c’est nous qui sommes perdants, les tricards de la banlieue, parce qu’on doit se barrer encore plus loin. Plus de RER. Plus de atigue. Plus de galère. En in, e m’inclus dedans mais pour moi, ça va maintenant. Ça m’a rendu ier de ou , de pouvoir o rir cet appart à ma daronne. On a passé un cap. Qu’est-ce qu’elle a chialé, quand e lui ai ilé les clés.
Quand e lui ai dit que Coralie était enceinte, elle a beaucoup pleuré aussi, mais pas de oie. Elle était tellement triste pour moi. Je lui ai pas raconté qu’on venait uste de se retrouver avec Camille mais elle savait que c’était elle, ma vraie emme. Je venais quand même uste de dire à Cam que e voulais bien lui aire un en ant, pas tout de suite mais que ’étais chaud. C’est comme si le destin s’était outu de ma gueule.
Coralie, c’est une bonne mère. Y’a rien à dire. Il est bien entouré, notre ils. Il a ses parents, les parents de Coralie, ma mère qui est gaga de son petit- ils et ma grand-mère, ’en parle même pas. Holden a ramené la vie dans cette amille. Mon rangin, il a tou ours pas de gamin. Je crois qu’il en aura pas. À mon avis, ils peuvent pas en avoir avec sa meu mais il m’a rien dit. C’est un bête de tonton, en tout cas.
Je suis plus avec Coralie. On est restés ensemble usqu’à ce qu’Holden ait trois ans. J’en pouvais plus, de cette vie avec elle. Le cul, ça ait pas tout. J’avais même plus envie d’elle. Je pensais qu’à Camille. J’ai pourtant essayé par tous les moyens de croire que e pensais plus à elle. Mais c’était mort. Quand Coralie se collait contre moi, c’est le par um de Camille que ’essayais de retrouver. Je me suis barré.
Maintenant, e vis à Paris. Ça y est, e suis devenu un de ces mecs que e pouvais pas blairer, mais c’était plus possible, de rester dans mon coin. Trop de gens qui connaissaient ma tronche. C’était chelou. J’aurais dû aire comme MF Doom. En mode rappeur anonyme. Me planquer dès le départ. Il a tout compris. Faire du bon rap sans se aire emmerder, ni uger.
Je vis tout seul et ’ai Holden une semaine sur deux. Mon ils est super, e suis dingue de lui. Une ois, il est tombé sur une photo de Camille en ouillant dans un de mes tiroirs à la recherche de eutres. C’était une photo d’elle en tenue de danseuse aite par un vrai photographe, à l’Opéra. Je la lui avais piquée dans sa chambre, la première ois qu’on est allés che elle. Je lui ai amais dit. Je sais pas si elle s’en est aperçue.
Holden devait avoir cinq ans, e crois, il est arrivé avec la photo dans ses petites mains.
– C’est qui, la dame ? Elle est belle, on dirait une princesse. – C’en est une.
– Elle est où ?
– En Amérique.
– C’est une copine à toi ?
– C’était.
– T’étais copain avec la princesse de l’Amérique ?
– En quelque sorte…
Ce soir-là, ’ai vraiment eu les boules. J’ai eu envie de lui téléphoner. De savoir comment elle allait. Mais e l’ai pas ait. Comme toutes les autres ois.
Notre label avec Mehdi marche bien. Je sors encore des albums perso, mais e suis moins dans la lumière. Faut avoir les crocs pour aire du bon rap. Et moi, maintenant, e vis bien et e suis plus posé, moins vénère. En in, e pars tou ours au quart de tour, y’a des vieux ré lexes qui traînent, ça se perd pas. Mais ’arrive à redescendre plus vite. Je vais encore dans le quartier de temps en temps pour voir des potes mais ’y suis beaucoup moins. Et puis le succès, ça ait le tri dans les amis.
On produit des petits eunes qui pètent tout. On se ait pas mal de maille, e dois dire. Pas autant que les gens le croient, non plus. Ça ait partie des clichés du rap, de penser qu’on devient millionnaire avec cette ik. C’est les Ricains qui ont mis ça dans nos têtes de pauvres. Leurs clips nous ont bien ait antasmer. On y a tous cru. Bien sûr, y’en a qui se ont beaucoup d’oseille, mais c’est loin d’être la ma orité.
En tout cas, nous, on gagne tous bien notre vie. Comme si on avait ait de longues, très longues études. Et on ait des trucs qui nous ont vraiment ki er. En ce moment, on travaille sur un gros pro et, La Session 9.4, un truc à la 93 Empire de Fianso mais sau que c’est pour le 94. Che nous, quoi ! J’aime bien l’idée d’un truc rassembleur qui dépasse les petites querelles. L’ob ecti , c’est de aire signer les eunes mais aussi les anciens. Les mecs de la Ma ia K’1 Fry comme Rho ou Rim’K et puis évidemment Kery James. C’est du ta , mais on y croit à mort.
On a gardé l’équipe et tout le monde croque un peu. Mouss, il bosse aux relations presse. On l’a remis sur les rails après qu’il a eu quelques petits soucis avec la BAC. Il s’était ait choper avec une
bonne quantité de shit sur lui. Su isamment pour qu’il y ait une perquisition che ses darons. Mouss, il a amais pu digérer ça. Que sa daronne le voie ressortir de che eux encadré par deux lics, les menottes aux poignets. Devant les voisins, tous sortis sur le palier pour l’occasion. Les condés ont rien trouvé de plus et il a été libéré le soir même, mais le mal était ait. Il me l’a dit, il s’en voudra à vie d’avoir ait pleurer sa daronne. De lui avoir collé la honte. En plus, avec son rangin qu’est une tête, il s’était tout le temps senti rabaissé. Avec le coup de l’arrestation, il savait qu’il allait en entendre parler gavé, de son rère qu’est mieux que lui. Et e ectivement, les anciens du quartier, ils ont pas arrêté de le aire chier avec ça. Tu devrais prendre exemple sur ton frère et blablabla. Relou.
Il a une meu maintenant. Je la trouve un peu cheloue, pour dire vrai. Elle parle pas, elle sort amais de che elle mais il a l’air de vraiment y tenir. Je dis rien, e respecte.
Sylvain est tou ours avec nous aussi, il s’occupe des studios qu’on a ouverts il y a cinq ans pour produire directement nos artistes. Skeem continue de aire des prods, pas mal pour nos ne comers, il est pas resté à la traîne. Il s’est marié, ce con. Il a deux mômes, même. Bon, e dis pas qu’il est idèle et tout mais disons qu’il s’est quand même casé. Moi, ’ai une copine depuis quelques semaines mais rien de bien sérieux. J’ai amais retrouvé une ille qui me asse le même e et que Camille.
J’ai eu des nouvelles d’elle par Sylvain. Quand il m’a appris qu’elle s’était mariée seulement un an et demi après notre séparation, ça m’a ilé un sacré coup. Elle a trouvé une place dans une troupe de danse contemporaine à Los Angeles il y a plusieurs années. Pas n’importe laquelle, celle de Ben amin Millepied. Ça m’a ait marrer d’ailleurs que le mec s’appelle comme ça alors que c’est
un danseur. Sa hanche, ça a dû s’arranger. Son mari (ça me ait mal, de dire ça), c’est un danseur américain. Je hais ce type. Je l’ai googlisé, ’ai pas pu m’empêcher. Il est beau gosse et il a l’air sympa en plus. Fils de pute. Y’a une photo où on les voit danser tous les deux. Ce qu’elle est belle. Dire que c’était ma emme et que ’ai dû la mettre de côté. Tout ça c’est vieux, mais quand ’y pense ça me remue encore les tripes.
Je revois sa tête quand e lui ai dit que ’allais rester avec Coralie. C’était devant l’Opéra. Il allait que e lui dise tout très vite. Comme quand on achève les animaux, aut y aller ranco, sinon tu ais sou rir. Et là c’était clair qu’on allait mor ler. Tous les deux. Elle a pas crié, elle a pas pleuré, elle a rien dit du tout. J’ai vu que tout s’était écroulé à l’intérieur sous mes yeux et c’est moi qui avais ait ça. Et puis elle est partie. Elle a amais cherché à me rappeler ou à savoir où ’en étais. C’était ini de che ini.
Avec le temps, et ça ait dix ans quand même, ’ai cru que ’avais réussi à l’oublier, mais encore au ourd’hui, la moindre blondinette qui passe, une ille qui a le même prénom, un ilm, un livre, une chanson, même une odeur, y’a tou ours un truc pour me la ramener. J’avais tou ours secrètement l’espoir de la revoir, de tomber sur elle par hasard. Je me souviens d’une ois, on était partis à L.A. avec Mehdi pour tourner le clip d’un de nos artistes ; à Venice Beach ’ai cru la voir devant moi, assise sur le sable. Ça m’a mis en transe, le cœur qui s’emballe, les suées. Mais la ille s’est retournée. C’était pas elle.
CAMILLE
Sylvain et Fanny se marient au ourd’hui. Ils êtent leurs dix ans de rencontre par un mariage. C’est beau, e trouve. J’aime bien l’idée. Moi, e me suis mariée très vite avec Justin. Au bout de deux mois, il m’a demandée en mariage et ’ai dit oui. C’était aussi simple que ça. Mon histoire avec Mike m’avait complètement brisée. J’ai mis beaucoup de temps à vraiment m’en remettre. Je ne sais même pas si e suis totalement remise. Il m’a vraiment bien abîmée, le salaud. Je me suis envolée pour L.A. et c’est là que ’ai rencontré mon utur mari. Il est beau, gentil et on partage la même passion. C’est très ort, quand on danse ensemble. Ça l’est un peu moins dans la vie. Au début, on se dit que c’est plus simple de vivre avec un danseur, et en ait non. Quand on ne danse pas ensemble, on ne se voit pas beaucoup. Je crois que Mike restera mon grand amour à tout amais. Comme le Mario de ma grand-mère.
Quand Fanny m’a dit que Mike n’était plus avec Coralie, ça m’a ait beaucoup de mal. Ça voulait dire que, peut-être, on aurait pu rester ensemble. J’aurais peut-être pu me battre un peu plus. Mais ’avais dé à été sonnée la première ois qu’il m’avait quittée à cause de Jalil. La deuxième, ’étais K.O.
Il ne se passe pas à un our sans que e pense à lui. Au début, e me aisais du mal en continuant à suivre sa carrière sur les réseaux sociaux. Et puis ’ai arrêté le our où ’ai vu une photo de lui avec Coralie et leur ils. C’est elle qui l’avait publiée sur son compte Instagram et il l’avait likée. Ça m’a ait tellement de mal. J’ai repris le dessus sur ma vie avec cette photo. C’est ce our-là que ’ai décidé de partir. J’avais réussi quelques mois auparavant le concours pour rentrer dans la compagnie de L.A. Voir Mike heureux en amille m’a poussée à m’envoler vers les États-Unis. Et e dois dire que c’est la plus belle décision que ’aie prise de ma vie. Je suis tellement heureuse d’être dans cette compagnie bienveillante. Je me sens libre et en con iance.
Ma hanche ne m’a plus amais re ait sou rir. J’ai vu un psy quand Mike m’a larguée pour Coralie. Je ne mangeais plus, ’ai clairement ait une dépression. Pour lui, ma hanche, c’était Mike. Mon corps l’avait choisi, lui, contre la danse. En gros, il s’était arrêté de bien onctionner pour que e puisse suivre le garçon que ’aimais. Sans ce psy, e ne sais pas si ’aurais auditionné pour L.A. Il m’a vraiment aidée à poursuivre ma route, sans Mike.
J’ai trente-quatre ans et e n’ai tou ours pas d’en ant. Justin aimerait bien mais e ne le sens pas, pour l’instant. Il ne peut pas venir avec moi au mariage de Fanny et Sylvain. Il a une représentation le lendemain. Impossible de aire l’aller-retour, c’est trop loin. Ça m’aurait bien aidée, pourtant, qu’il soit là, avec moi, pour a ronter Mike. Quand Fanny m’a annoncé son mariage, c’est la première chose qui m’est venue à l’esprit. Alors, finalement, je vais revoir Mike… Dix ans plus tard .
MIKE
Emma est en retard. Elle met des plombes à se préparer. Je peux pas louper le début, e suis le témoin du marié.
– Putain ! Speede-toi Emma, bordel !
– Oui, ’arrive, monsieur le râleur ! Je suis prête. Comment tu me trouves ?
– Bien. Alle , go !
– Ça va, c’est uste en ace. On risque pas d’être en retard.
Fanny et Sylvain ont choisi de se marier à l’autre bout du monde, dans une petite ville de la pointe bretonne. Sylvain a toute sa amille là-bas. C’est grave beau, ce coin. Hyper sauvage.
On est arrivés hier soir et on a passé la nuit dans un hôtel ace au port. De notre chambre, on voit la petite chapelle de pêcheurs qui donne sur la mer. C’est là qu’ils vont se marier. Je suis resté à scotcher dessus une bonne partie de la nuit, en umant des clopes. Si ’avais dû me marier un our, ’aurais bien aimé que ce soit dans un endroit comme ça. Simple. Brut. Pas de plastique. Que du vrai.
J’ai proposé à Emma de venir avec moi parce que e ne voulais pas me retrouver comme un con tout seul ace à Camille et son mari. Impossible.
Je resserre mon nœud de cravate et ’attrape Emma par la main pour la tirer dehors. Elle sautille derrière moi avec ses talons et sa mini upe. Elle galère. On arrive à la chapelle. Et quand on entre e la vois, Camille, en train de discuter avec Fanny. Et ça me téléporte dix ans en arrière, quand elles étaient toutes les deux dans la salle de concert. Le soir où Camille était venue dans ma loge pour me dire qu’elle voulait aire l’amour avec moi. C’était dingue. Je tiens Emma par la taille mais e ne lâche pas Camille du regard. Elle ne m’a pas encore vu. Mon cœur bat tellement ort dans ma poitrine que ça me ait presque mal. Elle porte une robe bleu marine avec un dos nu. Elle est tou ours aussi belle. Aussi gracieuse. Elle tourne la tête et ça y est, nos regards se croisent. Ça me ait comme une décharge électrique.
CAMILLE
Et voilà ! On y est. Je redoutais tellement ce moment. Il est là, devant moi, avec une olie ille à son bras. Et le voir chamboule tout à l’intérieur de moi. Comme une construction en Kapla qu’on a mis des heures à réaliser et qui s’écroule d’un seul coup. Je m’y étais préparée, pourtant, ’en ai même parlé à Justin… Fait chier, il est tou ours aussi beau. Encore plus qu’avant. C’est plus un gamin. C’est un homme. Il s’est un peu épaissi mais ça lui va bien. Il a le crâne rasé comme la dernière ois que e l’ai vu et qu’il me quittait pour de bon, pour Coralie, pour son en ant.
Je suis témoin de la mariée. Qui d’autre que Mike et moi pour témoigner de l’amour de Fanny et Sylvain ? Personne.
La cérémonie est simple et belle. Je suis bouleversée autant par leur mariage que par Mike qui se tient ace à moi. Comme un boomerang, toute notre histoire me revient en pleine tête. Alors, ’évite de croiser son regard au maximum.
Il n’y a pas encore grand monde quand ’entre dans la salle qu’ils ont louée pour le repas et la ête. C’est oliment décoré. Original. On voit tout de suite que la mariée est une artiste. Je suis d’abord allée dans ma chambre d’hôtel après la cérémonie mais e ne me suis pas
sentie bien, toute seule entre ces quatre murs. Alors, ’ai marché usqu’ici pour me changer les idées, calmer cette agitation qui me domine depuis que ’ai revu Mike, tenter de ne plus penser à lui.
Il doit y avoir à tout casser cinq personnes, principalement des anciens, qui attendent sagement assises sur des chaises que les mariés arrivent. Je leur ais un petit signe de tête en continuant d’avancer dans la salle. Je suis tout de suite attirée par les grandes baies vitrées qui donnent sur la mer. Quand on regarde au travers, c’est magni ique et un peu inquiétant en même temps. La nuit, la mer noire et les alaises dessinées par la lueur de la lune. Un risson me parcourt le dos.
Mike et moi sommes à la table d’honneur. Heureusement, nous sommes chacun de part et d’autre des mariés. Je ne le vois pas, sau si e me penche, alors e ne me penche pas. Mais il n’y a rien à aire, e sens sa présence. Je sais quand ses yeux se posent sur moi. Sa emme est pleine de vie. Elle rit. Beaucoup. Beaucoup trop. Il est revenu à ses anciennes amours. Une belle brune à la peau mate et aux ormes généreuses. J’étais sûrement l’erreur de casting.
La soirée bat son plein. L’alcool aidant, la piste de danse s’est remplie petit à petit. L’ambiance est chaleureuse et sans chichi mais la sélection musicale est pointue. Il y a beaucoup de mélomanes dans la salle, le marié en tête. C’est le premier mariage auquel ’assiste sans m’ennuyer. J’ai revu pas mal de antômes du passé, notamment Moussa. Il m’a uste saluée mais sans trop s’attarder. Ça m’a déçue. J’étais vraiment contente de le revoir. Je garde un bon souvenir de nos discussions pendant la tournée de Mike. J’ai su par Fanny qu’il avait eu des soucis à cause du deal, il y a quelques années. Il est venu avec une ille qui ne le quitte pas d’une semelle. Elle a l’air terri iée d’être là, avec tout ce monde.
Skeem est là aussi. On a pas mal parlé tous les deux. C’est celui qui se comporte de la açon la plus naturelle avec moi. Je n’en reviens pas, qu’il soit marié. Il a des en ants. Ça ne l’empêche pas d’être tou ours aussi dragueur. Il n’a pas pu s’empêcher de me aire du charme.
Je n’ai pas revu Fanny depuis un moment. Je la cherche du regard et e tombe sur Mike. J’avais habilement réussi à l’éviter usque-là. Il s’avance vers moi avec sa copine alors que e inis le ond de ma coupe de champagne. Il lui glisse à truc à l’oreille et elle part aussitôt vers le bar. Je voudrais m’en uir mais e suis paralysée. – Camille.
– Mike.
Le son de sa voix me transperce. Ça aisait tellement de temps que e ne l’avais pas entendue. Je ne peux tou ours pas écouter sa musique.
– Ça ait un bail…
– Carrément.
– T’es tou ours aussi… En in… Comment ça va, toi ? On m’a dit que tu vivais à Los Angeles, maintenant ?
– Oui, e suis entrée dans une compagnie là-bas. Et toi ? La musique, ça va ?
– Ouais, e suis moins sur le devant de la scène mais le business va bien.
– Tou ours avec Mehdi ?
– Bien sûr ! Et tout le reste de la amille : Mouss, Sylvain et Skeem. J’ai vu que tu discutais avec lui, il a pas trop changé…
Il est interrompu par l’arrivée de sa copine.
– Tiens, Mike. Ton champagne.
On reste un instant interdits tous les deux. Et c’est elle qui init par rompre le silence.
– Tu me présentes pas ?
– Si, si, bien sûr… Camille-Emma, Emma-Camille.
Elle me ait la bise.
– Camille c’est une…
Il ne sait pas comment me dé inir alors e l’aide.
– Très vieille amie, on ne s’est pas revus depuis presque dix ans. – Ah ouais, quand même ! Tu l’as connu quand il était en pleine gloire alors ?
– C’est ça. Un peu avant, même. Et on se retrouve au mariage de nos potes qui se sont un peu rencontrés grâce à nous… On peut dire ça, hein ?
– On peut dire ça.
Il boit sa coupe presque d’une traite.
– Et vous deux, alors ? Vous êtes mariés ?
Je ne peux pas m’empêcher de poser la question même si ’ai bien vu qu’ils ne portaient d’alliance ni l’un ni l’autre.
– Eh non ! Pas acile de lui passer la bague au doigt, à ce garçon. Il est coriace.
Elle lui donne un petit coup d’épaule. Il est gêné. Je retrouve ses mimiques de gamin. Elles n’ont pas changé. J’ai l’impression que e l’ai quitté la veille. Il me retourne la question.
– Et toi ? T’es mariée, à ce qu’il paraît ?
– Oui, mais Justin, mon mari, n’a pas pu venir. Il est danseur et il a une représentation demain. Comme on vit à Los Angeles, c’est compliqué…
– Dommage.
Mike a cet air que e lui connais bien. Cette petite pointe d’ironie au coin des lèvres.
– Et ton ils, ça va ?
Emma ne laisse pas le temps à Mike de répondre.
– Ah, tu connais Holden ? Il est trop beau, hein ? J’adore ce gosse !
– Non, e ne l’ai amais vu mais ça ne m’étonne pas. Ses parents sont très beaux tous les deux.
Il a appelé son ils Holden, comme le héros de L’Attrape-cœurs. Ça me terrasse.
– Montre-lui une photo, Mike !
Sa copine, c’est le genre très à l’aise qui parle beaucoup. Le genre que e ne supporte pas bien mais e ne suis peut-être pas très ob ective. Il sort son portable de sa poche de pantalon. Il est sacrément beau en costume. Classe. J’étais restée sur les s eats à capuche. Il me montre une photo de son ils.
– Ce qu’il te ressemble ! C’est dingue !
Ça me ait monter les larmes aux yeux.
– Je te l’avais dit ! Il est trop beau, son gamin. Il va rendre les illes malheureuses, c’est sûr.
– Comme son papa…
C’est sorti tout seul. Mike me regarde avec intensité. Il sait par aitement de quoi e parle. Il aut que e m’échappe. C’est trop d’émotions pour moi, tout ça.
– Je dois vous laisser, e suis désolée. Il aut que… que ’appelle Justin.
MIKE
Emma est déchaînée sur la piste. Elle me atigue. Je n’aurais pas dû lui demander de venir avec moi à ce mariage. Je n’ai que Camille en tête. Je la cherche du regard dans toute la salle mais e ne l’ai pas revue depuis une bonne heure.
Je sors sur la terrasse pour umer une clope. Miracle. Elle est là, le ne en l’air, ace à la mer qui tape sur les rochers.
– Tou ours à scotcher sur les étoiles ?
Elle sursaute et se retourne.
– Tu m’as ait lipper !
– Je suis désolé, Camille.
Mon ton est grave mais elle comprend pas – ou elle ait genre elle comprend pas.
– T’inquiète ! J’ai pas ait d’arrêt cardiaque, tout va bien…
Elle me sourit. Elle a tou ours ce sourire qui me ait craquer. Ses dents écartées et ses ossettes sont tou ours là et ça lui donne ce truc particulier, un peu en antin.
– Non, e veux dire… Je suis désolé pour tout le mal que e t’ai ait.
– Ça va, Mike, c’est du passé tout ça.
Je lis sur son visage un peu crispé qu’elle ne pense pas vraiment ce qu’elle dit. Elle essaie de donner le change mais e vois bien que tout ça la remue, elle aussi.
– Je sais… Mais e voulais uste que tu saches qu’on est quittes, parce que ’ai mor lé sans toi. Vraiment. T’as pas idée.
– Si, ’ai une petite idée. En tout cas, c’était pour la bonne cause, votre ils est réussi.
– Je suis dingue de ce môme.
– Finalement, ça n’a pas marché avec Coralie, alors ?
– Eh non. Normal. J’aurais tellement dû rester avec toi. Mais ’étais un gamin, ’étais paumé et… e pensais que c’était le choix le plus adulte. Mais e me suis planté.
– Laisse tomber, Mike.
– T’as pas d’en ant, toi ?
– Non, pas encore. Justin aimerait bien et e sais qu’il est un peu temps pour moi. Je vais bientôt être trop vieille… mais ça devrait pas tarder.
– C’est dingue !
– Quoi ?
– Je suis tou ours aloux. Tu me parles de ton mec et ça me ait tou ours ce truc, là…
– Ça, c’est parce que t’es tou ours dingue de moi. Qui ne le serait pas ?
Elle se marre. Pas moi.
– Exactement, Camille. Je dirais même que ’ai amais cessé d’être dingue de toi. Je me suis dit que peut-être, de te voir des années après, ça me erait plus rien, que ça me soignerait, tu vois… Mais là, c’est comme si e t’avais laissée hier. Je t’aime Camille, depuis tou ours. Je sais que t’es mariée et t’as l’air heureuse et tout, et que tu vis loin, mais ’aurais regretté si e te l’avais pas dit ce soir.
Comme ’ai regretté de t’avoir laissée devant l’Opéra quand e t’ai dit que e devais choisir la mère de mon en ant.
– Arrête, Mike, s’il te plaît.
Sa main se crispe sur la rambarde en er. Elle me regarde ixement. Elle dit plus rien. Des grosses larmes coulent sur ses oues. – Mais Camille, ’ai cru que ’allais crever au début, tellement tu m’as manqué. Plein de ois ’ai voulu revenir te chercher. Plein de ois e me suis retrouvé en bas de che toi mais la seule ois où ’ai sonné, t’étais pas là.
– C’est dingue, ça ! C’est nouveau, de pas arrêter de parler comme ça ? Avant, il allait te tirer les vers du ne et maintenant, tu ne sais plus t’arrêter ! Ferme-la, e ne veux pas entendre ça !
Elle me hurle dessus maintenant. Elle est en colère. Une colère noire. Je l’avais amais vue comme ça.
– Pardon si ça te blesse ou si ça ravive des trucs, mais e suis prêt à tout pour toi. Je suis plus un gamin.
– J’ai ma vie, bordel ! Arrête ! Pourquoi tu me ais ça ? J’étais toute cassée quand tu m’as laissée et maintenant, e vais bien, alors viens pas re outre la merde s’il te plaît !
– Pardon Cam ! Je suis tou ours aussi maladroit.
– T’es surtout tou ours aussi mégalo et immature ! Tu crois quoi ? Tu m’as etée pour aire ta vie avec Coralie et ça n’a pas marché… Maintenant, tu viens me dire tout ça comme si ’allais rappliquer direct. Tu te crois si irrésistible, c’est ça ?
– Non, pas du tout Camille, tu te trompes. Je t’ai dit tout ça parce que e l’avais sur le cœur depuis longtemps. En vrai, ’avais trop envie de te voir et d’être déçu. D’être déçu par toi, par ce que tu serais devenue. Ou de réaliser que e m’étais ait une ausse image de toi, que e t’avais placée trop haut par rapport à la réalité. Ou mieux, tu serais devenue vieille, moche, sans charme. J’aurais pu
tourner la page plus acilement. Dix piges que e continue à penser à toi. C’est pas ou , ça, ranchement ? Et e te vois et c’est comme un électrochoc. Comme un camé qui reprend une dose alors qu’il était clean. T’es encore plus belle qu’avant. T’es…
– Mais tu t’arrêtes plus de parler en ait ?
Elle s’en va. Je la suis au pas de charge. Les gens qui ont assisté à toute la scène sur la terrasse nous regardent traverser la salle. Emma court vers moi et m’agrippe le poignet.
– Mike ! Qu’est-ce qui se passe ?
Je me dégage d’un mouvement de bras.
– Laisse tomber, Emma. Camille, reviens ici !
Elle stoppe net sa course et se retourne vers moi, des éclairs de ureur dans les yeux.
– Tu me parles pas comme ça, OK ? Je suis pas ton chien ! Emma essaie de comprendre.
– Quelqu’un peut me dire ce qui se passe ?
– Je suis désolé, Emma, mais ’aime Camille, ’aime cette ille comme un dingue depuis que e l’ai rencontrée y’a dix piges.
Emma est sonnée. Je me tourne vers Camille qui a l’air tout aussi perdue.
– Depuis la première ois qu’on a baisé dans cette loge ! Peut-être même depuis la toute première ois que e t’ai vue, quand e t’ai virée de mon studio. On n’avait rien à outre ensemble et tout s’est mis sur notre route pour que ça ne marche pas : Jalil, Coralie, ta hanche, ta danse, mon rap, mon succès… Mais e n’ai plus de temps à perdre. T’es la seule que e veux.
Emma reprend ses esprits et m’en colle une bonne que ’ai pas vue arriver mais que ’ai bien méritée. Camille se barre et me laisse là comme un con.
Je redescends d’un coup. Je suis vidé. Je me retourne vers la salle, persuadé que le temps s’est suspendu. Mais non. La musique revient à moi. Le bruit. Les gens. Ceux qui étaient uste à côté, aux premières loges, qui ont des messes basses en me regardant. Et tous les autres. Les danseurs qui donnent tout ce qu’ils peuvent sur la piste. Transpirant à grosses gouttes, nœuds de cravate desserrés, chaussures à talons abandonnées au sol. Les mariés au centre qui se roulent des pelles à s’en décrocher la mâchoire, tellement heureux. Et ils ont bien raison, e erais exactement pareil si ’étais à leur place. Ils n’ont pas capté ce qui vient de se passer. Ce tremblement de terre. Revoir Camille, ça a été un choc plus intense que prévu. Et pourtant, ’avais vu large. Je savais que ça allait me remuer grave. Je m’en suis mordu les doigts pendant des années, de pas avoir compris à temps qu’il n’y avait qu’elle. Maintenant qu’elle est tout près, e vais pas la laisser iler.
Emma court vers la terrasse en pleurant. Elle mérite pas ça. Je pensais pas que tout sortirait d’un coup, que ça se passerait comme ça, devant tout le monde. Je lui demanderai pardon, c’est sûr, mais plus tard. D’abord aut que e retrouve Cam. C’est le seul truc qui compte. Je suis lancé. C’est ma seule chance.
Je sais bien que ça va pas se aire comme ça, en un claquement de doigts. Je vais en chier mais e changerai pas de cap, cette ois. Et bi arrement, e suis plutôt optimiste. C’est vrai, elle m’a pas dit : « Mike, laisse tomber, ’aime mon mari », « Nous deux, c’est impossible » ou e ne sais quoi du genre. Elle était urax et ça, c’est bon signe. Je reviens à moi et e cours vers la sortie. Vers la seule ille que ’aie amais aimée et que ’aimerai amais. Ma Cam.
REMERCIEMENTS
Merci à mon éditrice, Alice, d’avoir cru en ce roman sorti de nulle part. Ça a été un vrai bonheur d’échanger avec toi sur ce texte et sur le reste.
Merci aussi à Sylvie pour son soutien et à toute l’équipe de Hugo pour leur con iance.
Merci à mes trois lecteurs acharnés. Votre patience, vos bons conseils et vos encouragements ont permis à ce roman d’exister. Merci à ceux qui m’ont conseillée, Jerry pour la police et Élise pour la danse. Votre aide m’a été très précieuse.
Merci à tous mes compagnons de van. Même si on ne se voit plus pour certains, vous êtes tou ours dans un coin de mon cœur.
Merci à tous les rappeurs de ma playlist. La liste est trop longue pour citer tout le monde. Mention spéciale pour IAM qui m’a inspiré le titre de ce roman.
Et surtout merci à ma amille. Il n’y a que vous qui compte .