premier, celui des assurances. Ce connard nous a tellement pris de haut, mon rère, ma mère et moi, dans son petit bureau de merde. Il a rien voulu entendre. Ma daronne, elle pleurait, mon rère, il gueulait et moi, ’ai pas dit un mot, ’ai sauté sur lui d’un coup, comme ça, et e l’ai tabassé. Vraiment tabassé. Si mon rangin était pas intervenu, e sais pas dans quel état serait le gars au ourd’hui. En tout cas, il a porté plainte pour inalement la retirer une semaine plus tard. Il a eu pitié de ma mère.
Bertrand, il est même pas asse na e pour que e colle mon poing sur sa tronche de couille molle.
Heureusement, y’a des gars plutôt cool qui bossent là. Le grand Momo, par exemple, qu’est un peu perché, mais il est tranquille. Il est passé à travers un pare-brise quand il avait quin e ans. Il dit que c’est ça qui l’a rendu bi arre mais que les meu s, elles aiment bien ses grosses bala res. Et c’est vrai, il est amais en galère de ce côté- là. Y’a aussi Pedro, c’est un petit Portugais tout nerveux, tou ours en train de raconter des conneries, e me suis tapé de bonnes barres avec lui. Sam, qu’est che de rayon, il écoute pas mal de rap. On parle souvent tous les deux quand on bedave à l’arrière du magasin, là où les camions déchargent les marchandises. Niveau meu s, c’est pas l’éclate. Plutôt des vieilles. Mais y’en a quelques-unes de sympas. Elles sont pas baisables mais elles sont cool. En in si, y’a Nadia, on n’arrête pas de l’emmerder parce qu’elle a des gros seins. Mais genre vraiment gros. Elle peut pas nous blairer du coup. Je pense quand même qu’elle dirait pas non à Pedro. C’est le seul qui soit pas trop lourd avec elle. Il est trop con pour voir qu’il pourrait se la taper. Je lui ai dit pourtant, mais il croit que e me ous de sa gueule.
– Dis donc Karavic ! Les oranges, elles vont toutes se casser la gueule si tu me les laisses comme ça !
Pedro, qui met en rayon les yaourts pas très loin, se marre.
– Vous inquiéte pas m’sieur Molino, e suis sur le coup, elles tomberont pas, vos oranges.
– J’espère bien ! Chaque orange par terre sera déduite de ta paie ! C’est clair ?
Il peut pas emmerder quelqu’un d’autre ? Je suis son passe- temps, au gars. Je me demande même s’il y pense pas la veille au soir. Comment je vais pouvoir faire chier Mike Karavic ? Faut dire que e l’imagine bien tout seul comme un con dans un petit appart minable. Quelle meu aurait envie de se taper un bou on pareil ? Sérieusement.
Il croit que e suis soumis. Il voit pas mon ironie. C’est ça, la di érence avec un chien, c’est que moi, ’ai la satis action de l’ironie. – Il est capable de le aire ce con ! me lance Pedro.
– Je sais bien… c’est pas permis d’être aussi bas du ront !
Sam en ile son tablier orange et me re oint pour m’aider à inir de mettre en rayon les ruits et légumes. Il y a sûrement des gars dans des bureaux qui ont ait tout plein d’études pour conclure que le tablier, ça ait terroir ou e ne sais quelle connerie. En attendant, c’est pas eux qui le portent et qui se tapent la honte avec ce truc sur le dos.
– Ton concert hier, mon gars, c’était de la balle !
– Merci rère, tu me régales ! Ça me change de l’autre bâtard.
– Dommage que t’aies pas pu venir, Pedro ! T’as loupé un truc, c’était du lourd !
– Je viendrai au prochain !
Je sais qu’il viendra pas. Il aime la variétoche et le ado. Le rap, ça le gon le.
– Les mecs d’Universal étaient là. Ils étaient chauds !
– Ça dé once ! Tu nous oublieras pas, quand tu seras une resta ? – Dis donc, Karavic, c’est pas un salon de thé ici !
Si seulement e pouvais gagner ma vie avec le rap, ce serait trop bon de lui coller ma dem dans sa sale ace d’enculé de che aillon de merde.
Après le ta , e vais directement che ma grand-mère. Et c’est tout comme ’avais prévu. Des larmes, des baklavas et encore des larmes.
Le soir, quand on rentre à pied à la maison avec ma daronne, ’ai le moral au plus bas. On se dit pas un mot. Qu’est-ce qu’il y aurait à dire, de toute açon ?
Elle va direct dans la cuisine pour préparer à manger et moi, e trace m’en ermer. Je regrette d’avoir donné un aux numéro à la meu d’hier. Ça m’aurait bien changé les idées de baiser. Et c’était du tout cuit, ’aurais pas eu d’e orts à aire. Je pourrais appeler Coralie mais elle va me saouler. Elle est devenue casse-couilles ces derniers temps.
Je prends un carnet et le petit sachet de eed que Moussa m’a ilé pour me dépanner.
– M’man, e vais au stud.
– Quoi ? Mais tu manges pas avec moi ?
– Nan, e t’avais dit, ’ai des trucs à aire…
J’ai pas envie de rester là en tête à tête avec elle dans cette ambiance de plomb.
CAMILLE
Sylvain s’approche de moi avec cet air qu’ont les mecs quand ils veulent aire l’amour. Il louvoie, m’embrasse dans le cou. Je n’ai pas envie. Et ça ait plusieurs ois et e ne sais pas pourquoi, ni comment lui en parler sans le vexer. Alors ’esquive encore une ois. Je le repousse d’un petit mouvement d’épaule.
– Je te prépare un ca é ?
– Non Camille, c’est pas d’un ca é que ’ai envie, là tout de suite. – Je suis un peu atiguée en ce moment tu sais…
Il se détache de moi brusquement pour planter ses yeux dans les miens.
– Camille, qu’est-ce qu’il y a ?
– Rien, e t’assure, c’est uste qu’en ce moment, c’est dur à l’Opéra.
Et c’est vrai que c’est dur. Plus dur que amais. J’y arrive pas. J’ai perdu mes sensations. Ma tête sait exactement ce qu’il aut aire mais mon corps ne suit pas. Je stresse de plus en plus alors e travaille sans relâche usque très tard le soir. Je me rends bien compte que e deviens obsessionnelle, trop exigeante avec moi- même. Je malmène mon corps.
À vrai dire, c’est surtout ma mère qui m’en a ait prendre conscience. Même Rodrigue, qui nous pousse tou ours à nous dépasser, m’a conseillé de ralentir un peu. C’est pourtant lui qui m’avait demandé de me recentrer. Il pense que e n’ai pas encore réussi à trouver le bon équilibre entre la danse et la vie. Pas évident, puisque toute ma vie, c’est la danse ustement.
Je suis exténuée et e pleure souvent. Ce n’est pas la grande orme, quoi. Et puis il y a eu les êtes de in d’année qui ont a outé encore un peu de atigue sur tout ça.
Je n’aime pas être comme ça avec Sylvain. Il mérite plus de tendresse que ce que e lui donne. Ça ait deux mois et demi qu’on sort ensemble et e commence dé à à ne plus avoir de désir. Il est compréhensi . Je culpabilise. C’est le dernier soir où on se voit avant qu’il parte dans le Sud pour enregistrer l’album de Mike. Je ne vais pas le voir pendant trois semaines.
– Tu veux qu’on arrête, c’est ça ?
– Mais non ! C’est pas ça. C’est la danse… e sais pas. Je me sens un peu débordée par tout en ce moment.
Et c’est reparti pour les larmes. J’en ai marre de pleurer à tout bout de champ.
– Camille, qu’est-ce que… ? Viens là.
Il me prend dans ses bras. Ils sont récon ortants, ses bras. C’est un territoire ami.
– Tu sais ce qu’on pourrait aire ? Tu pourrais me re oindre un eek-end dans le Sud. Ça te changerait les idées…
– Oula ! Ton Mike ne voudra amais !
– Si, t’inquiète ! Je m’en occupe. Je lui dirai pas tout de suite. Je vais préparer le terrain. Tu vas trop me manquer si on se voit pas pendant trois semaines. Et la villa est grande apparemment… On sera tranquilles.
– T’as raison, ça me era peut-être du bien de changer d’air. Faut que e voie par rapport au planning des répétitions mais ça pourrait le aire.
Je l’embrasse. On ait l’amour. Il s’endort rassuré. Je ne erme pas l’œil de la nuit.
MIKE
Universal nous a prêté une baraque pour un mois dans le Sud alors qu’on a encore rien signé avec eux. Mais ils y croient à mort. Ils veulent qu’on sorte vite le disque pour « battre le er tant qu’il est chaud », c’est leur expression. Faut dire, on a bien occupé le terrain sur le Net. Dans le rap, il aut aller vite. Rester pertinent. Jamais silencieux, sinon on t’oublie.
Ils aimeraient tout boucler pour septembre. Dans sept mois. Mehdi est en train de négocier avec eux. Il ait relire les contrats par un pote de sa sœur qu’est avocat. Elle est secrétaire dans un cabinet sur Paname, sa rangine. Ils sont orts, che les A oury, ils savent se placer.
En attendant que tout ça soit clean, on a la maison. C’est quand même de la balle. L’idée, c’est qu’on enregistre tout sur place avec du bon matos prêté gracieusement, et qu’on peau ine les instrus avec Skeem et Sylvain. Normalement on mixera après dans un pur studio. Ça ait partie de la négo.
Perso, ’aurais pas choisi ce coin-là. Le Sud en évrier, c’est mort de che mort, mais le label loue cette maison à l’année pour des artistes. Y’a personne qui veut y aller à cette période. Je vais pas m’en plaindre. En plus, aut voir la baraque, style Los Angeles avec
des grandes baies vitrées, une méga vue sur la mer. En in, comme ’imagine Los Angeles parce que ’y ai amais outu un putain de pied. Ce qui est sûr, c’est qu’on est loin de nos apparts pourris d’Al ortville.
On est tous là, Sylvain, Skeem, Mehdi et Moussa. On est entre couilles. On ait que bosser, umer de la eed et picoler. Ça me change clairement du Franprix. Pas la peine de dire que ’en ai vraiment chié pour avoir mon mois de vacances. J’ai pu prendre que deux semaines en congés et le reste en sans solde. Pas payé, quoi. Et puis aussi, il a allu que e m’engage à aire les ours ériés usqu’à la in de l’année et à bosser tous les dimanches matin du mois de mars. Fils de pute de Molino !
Mouss, il arrête pas de me proposer de dealer avec lui : « Qu’est- ce que tu te ais chier avec cet enculé, sérieux ? Viens détailler avec moi, tu te ais le double en travaillant deux ois moins, mec ! » J’avoue, ça me tente grave mais y’a tou ours cette histoire de casier. Je peux pas planter la daronne. Pas d’embrouilles possibles. Pas encore. Et puis, elle est pas con, elle me demanderait d’où vient la thune. Je sais qu’elle ermerait pas les yeux.
Deux semaines qu’on est là, autant dire que c’est bien le boxon dans la baraque. Sylvain m’a demandé hier s’il pouvait inviter sa meu à passer le eek-end. Il m’a dit que ça allait pas trop entre eux et qu’elle lui manquait. Il me l’a oué pleureuse, et e lui ai pas dit d’aller se aire outre, même si ’en avais envie. L’idée qu’une gon esse vienne ici, ça me plaît pas. Surtout cette gon esse. J’ai quand même posé une condition : il s’en occupe. Pas question qu’elle vienne traîner dans nos pattes. Il m’a dit que c’était pas le genre et que, de toute açon, elle allait passer les trois quarts du temps dans une chambre pour aire ses exercices de danse… e sais pas quoi. La maison est grande, e devrais pouvoir l’éviter.
Quand elle arrive de la gare avec Sylvain, on est tous dans le salon en train de ouer à Fi a. On se ait des pauses quand même. Elle est tout emmitou lée dans une méga écharpe et elle a un gros bonnet en laine sur la tête. Elle peut être que rileuse, vu comment elle est épaisse. Elle a pas de gras pour lui tenir chaud. Elle a les oues toutes rouges à cause du roid et ça ait ressortir ses yeux. On voit que ça, ses yeux verts. On dirait Sakura dans Naruto. Mon manga culte. Sau que Camille, elle a pas les cheveux roses.
Ils ilent avec Sylvain dans la chambre et on les revoit pas avant le soir. Ça me met les ner s, qu’elle soit là, qu’il la baise sous mon toit. C’est pas vraiment mon toit mais c’est quand même pour moi qu’on est tous là. Quand ’ai dit oui à Sylvain, ’avais pas idée que ça me saoulerait autant. J’avais pas imaginé qu’ils s’en ermeraient direct tout l’aprèm pour baiser. Peut-être qu’ils baisent pas ? Peut- être qu’ils ont que discuter ? Nan, c’est sûr et certain, ils baisent. Ils ont dû le aire au moins une ois. Toute açon, ça me regarde pas. Je me remets sur mes textes.
Le soir, Camille mange avec nous. Sylvain est particulièrement sympa avec moi. Trop. Ça ait plastique. Il voit bien que ’ai du mal à supporter la présence de sa nana. Ça me rend nerveux. Camille aussi essaie d’être cool.
– Pour vous changer des pi as, si vous voule , e peux vous préparer un petit plat demain midi…
Les mecs et les illes, on n’est pas aits du même bois. C’est clair ! Depuis qu’on est ici, on n’a même pas tenté d’utiliser la cuisine. En in si, peut-être une ois ou deux mais le plus compliqué qu’on ait ait, c’est des pâtes. Et c’est Sylvain qui s’y est collé parce qu’il en pouvait plus de bou er de la merde. Sans mentir, on a graillé que des pi as, des kebabs et du MacDo. On est allés uste une ois au
supermarché et on a acheté que des bières, de l’alcool, des sodas, des chips et des gâteaux. 100 % équilibré.
Moussa, il est super content qu’elle ait proposé de aire la bou e. Il vit que pour becqueter et umer de la eed, cet en oiré.
– Carrément, Cam ! C’est trop sympa !
Cam ? Non mais, ’hallucine ! On en est là. Ça y est. Elle propose de aire à grailler et ils sont tous à ses pieds.
– Vous voudrie que e vous asse quoi ?
Exprès pour la aire chier, e claque un truc qui m’a l’air bien relou à cuisiner.
– Une blanquette de veau ? Ou un couscous !
Sylvain intervient. Il doit pas vouloir qu’elle passe trop de temps à s’occuper de la bou e. Il veut la garder pour lui. Normal.
– C’est peut-être compliqué à aire tout ça, non ?
– Le couscous, c’est chaud… mais e peux vous aire une blanquette sans souci !
Skeem, il en peut plus.
– Elle est trop bien, ta meu . Faut la garder !
Elle ait un grand sourire. Et e remarque qu’elle a les dents écartées. Pas toutes, uste les deux de devant. Les dents du bonheur à ce qu’y paraît. J’avais pas ait ga e. C’est mignon.
Skeem me saoule avec ses commentaires à la con. Ils me saoulent tous. Je me casse dans ma chambre.
CAMILLE
Je pensais être la première levée mais quand ’arrive dans la cuisine, Mike est debout en tee-shirt et caleçon en train de boire un ca é et de umer une clope.
Avec mon grand tee-shirt qui m’arrive en haut des cuisses, e ne suis pas très à l’aise. Je tire dessus pour le aire descendre au max. Heureusement, ’ai mis mes grosses chaussettes. Il ne verra pas mes pieds, c’est dé à ça. Ils sont tellement affreux. Il me tourne le dos et regarde par la enêtre. Il ne m’a pas entendue arriver, alors e me racle un peu la gorge.
– Salut.
Il sursaute.
– Putain ! Tu m’as ait lipper.
– Désolée.
Il a renversé un peu de ca é sur son tee-shirt.
– Bordel !
– J’arrive tou ours au mauvais moment. Désolée.
– Tu t’excuses tout le temps comme ça ?
Il n’a pas l’air de trop méchante humeur.
– Non. Mais e sais pas, le peu de ois où e t’ai croisé, tu m’as tou ours hurlé dessus.
– Parce que tu le mérites…
Il me sourit. Et son sourire a vraiment quelque chose de… charmant. Ma mère dirait qu’il a un sourire ravageur. J’aime bien cette expression et elle est appropriée dans le cas présent. Il me ait de l’e et, un petit ravage, et ça ne devrait pas. Dé à, c’est le pote de Sylvain et en plus, e suis censée le détester. Je ne sais pas comment s’est opéré ce changement dans ma tête. Comment il est passé soudain du petit con à ce mec séduisant ? Je ne suis peut-être pas encore bien réveillée. Je me racle de nouveau la gorge avant de lui répondre.
– Ah ? Parce que e suis une bourgeoise ?
– Exactement !
Je rigole. Et e vais regarder ce qu’il y a dans le rigo. Je tire sur mon tee-shirt pour qu’il ne se relève pas trop quand e me penche.
– Ah ouais ! Genre, y’a que du Coca et des bières.
– En gros, ouais…
– Je peux manger quoi ?
– Ce que tu veux.
– Mike, s’il te plaît…
– Y’a des gâteaux là-haut, dans le placard.
Je prends un paquet de BN. C’est ce qui me semble le moins calorique dans tout ça.
– C’est bon, t’as trouvé de quoi te nourrir ? De toute açon, tu dois pas beaucoup manger, toi.
– Je peux pas manger de ces trucs-là normalement mais pour une ois, ça passe.
– T’es une de ces meu s qui s’a ament ?
– Nan, c’est uste qu’ils sont très stricts à l’Opéra sur le poids… – L’Opéra ?
– Sylvain t’a pas dit que ’étais danseuse ?
– Non, pas vraiment. J’ai cru comprendre, mais e pensais que c’était un hobby, pas ton boulot.
– Si ! Je suis danseuse à l’Opéra de Paris.
– À l’Opéra de Paris ! C’est la grande classe, dis donc !
Je croque dans mon BN dont le sourire en chocolat a l’air de m’être adressé en particulier. J’aime bien Mike quand il est comme ça. Je ne l’avais amais vu autrement qu’en train de gueuler. Il pose sa tasse dans l’évier. Et s’apprête à retourner dans sa chambre.
– Mike ?
– Ouais ?
– Comment e peux aller en ville pour aire les courses pour la blanquette ? Sylvain dort encore…
– Tu vas vraiment aire une blanquette ?
– Ouais ! C’est toi qu’as demandé, en plus !
– Je pensais que tu saurais pas aire.
– Pas de pot c’est LA recette que e maîtrise le mieux. C’est comme ça, les bourgeoises ! Ça sait aire pleins de trucs.
Il me regarde avec insistance. Comme s’il me voyait pour la première ois. Et ça ait accélérer les battements de mon cœur. J’ai l’impression qu’il se passe un truc pile à ce moment-là.
– Prends la caisse de Mehdi. – Euh… J’ai pas le permis. – Bah, démerde-toi alors.
Ah ! Revoilà le méchant Mike.
– Je rigole… Je suis le seul qu’a le permis dans cette baraque, à part Mehdi, mais il est pas levé avant on e heures…
– C’est loin à pied ?
– C’est bon ! Je t’emmène, mais aut pas qu’on traîne.
– Nan mais e disais pas ça pour ça, hein. Je peux me débrouiller. – Arrête ton cinoche, e t’emmène.
– OK.
Le village est à quelques kilomètres. En vrai, ’aurais tout à ait pu y aller à pied. Mike conduit vite la BM blanche de Mehdi, le moteur rugit littéralement sur les petites routes. Je ne suis pas très tranquille. Je m’accroche à la poignée au-dessus de la enêtre. Il me regarde aire et se marre.
– Tu lippes ?
– Un peu…
– OK, e ralentis. Ça te dérange si e m’allume une clope ? – Non.
Il ouvre la enêtre. Il ait super roid. Ça n’a pas l’air de le gêner. Il met la musique à ond. Il me dit que c’est un collecti de rap parisien qu’il adore. Panama Bende, ils sont sept, ils ont le même âge que lui et ils déchirent tout. J’écoute. On va fêter ! fêter ! fêter ! fêter ! C’est si ort que, de toute açon, e ne peux pas aire autrement. Quand on arrive au village, il se gare uste devant la boucherie. Les quelques passants nous regardent, médusés. J’ai l’impression qu’on est l’attraction du our.
– Je t’attends là, OK ?
– Ça marche.
Il n’y a personne dans la boutique, uste une vieille dame devant moi mais c’est probablement sa seule sortie de la ournée, alors elle en pro ite au maximum. Elle papote, elle papote… Je sais dé à tout sur Gérard, son petit teckel qui ait de l’arthrose et qui n’a pas trop le moral. Et e me dis que Mike va péter les plombs. J’imagine qu’il n’est pas du genre patient. Je le regarde à travers la vitre de la boucherie. Il me regarde aussi. Il a l’air calme.
Une ois que ’ai mon veau, e ais signe à Mike que e ile à la superette pour acheter le reste. Il hoche la tête et ne décolle pas du siège de sa voiture. Il a ermé les enêtres mais on entend quand
même les basses s’échapper de l’habitacle. Il a dû encore monter le son.
Sur le retour, on ne se dit pas un mot. C’est comme si l’air était devenu plus épais. Comme si ouvrir la bouche devenait un truc un peu… risqué.
Je passe la matinée à préparer la blanquette pendant qu’ils ont du son dans la salle d’à côté. Les mêmes rythmiques qui tournent en boucle me parviennent, un peu loues. Ça ne me dérange pas. J’ai l’habitude de la musique qui se répète encore et encore usqu’à obtenir le mouvement idéal. Ils recherchent sûrement la même per ection.
C’est agréable de cuisiner ici parce que la pièce est super grande. Je peux m’étaler sur le méga plan de travail en béton ciré. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que, quand e cuisine, e m’étale. Il y a un rayon de soleil qui traverse les vitres. J’aime bien ce temps, quand le roid vous saisit et que le soleil vous réchau e en même temps.
Sylvain m’a demandé plusieurs ois si ’étais sûre que ça ne me dérangeait pas de aire à manger et si Mike avait été sympa ce matin. Il a été surpris d’entendre que, oui, il avait été sympa et que, en plus, c’est lui qui avait proposé de m’emmener. Je crois qu’il n’en revenait pas.
Je plonge la cuillère en bois dans la sauce crémeuse et, sans me vanter, ’ai bien assuré. Ma blanquette, elle est délicieuse. C’est ma grand-mère qui m’a appris à la aire. Je devais avoir dans les dix ans. Je me souviens par aitement de tout, du petit tabouret sur lequel e montais pour être à la bonne hauteur, des moti s de la toile cirée sur laquelle on disposait tous les ingrédients avant d’attaquer. Depuis, e la prépare tou ours avec elle quand on ait des repas de amille. C’est devenu notre rituel. Je connais tous les gestes par cœur et ma
grand-mère aussi. Chacune sait ce qu’elle a à aire. C’est comme une chorégraphie à deux.
Le premier à goûter, c’est Moussa. Il se ette carrément sur l’assiette.
– Putain c’est bon de ou ! Comment ça déchire !
Suivi de près par Sylvain :
– C’est vrai, c’est super bon Camille !
Et en in Skeem qui parle tou ours un peu plus ort que les autres – Ouais, ça tue. Faut que tu la maries, Sylvain ! Sinon, c’est moi qui le ais !
– J’y travaille, ’y travaille…
Ça me ait bi arre qu’il dise ça. Ça me met mal à l’aise alors que ça devrait me rendre heureuse. Je lui en veux presque de montrer ses sentiments pour moi devant les autres.
Mike ne dit rien. Il mange son plat en silence. Il a, de nouveau, l’air ermé.
MIKE
J’arrive pas à dormir. J’arrête pas de me retourner dans mon pieu depuis plus de deux heures. Je chope mon s eat par terre et e descends pour aller umer une clope dehors. Camille est là, sur le canapé, en train de lire un bouquin. Elle lève son museau.
– T’arrives pas à dormir non plus ?
– Faut croire…
Elle me regarde ixement. Et e vois que ça la gêne un peu, que e sois torse nu en calbut devant elle. Je pouvais pas deviner qu’elle serait là. J’en ile mon s eat pour stopper le malaise et e me pose sur le canapé à côté d’elle.
– Tu lis quoi ?
– L’Attrape-cœurs.
– C’est bien ?
– Grave. Tu devrais le lire. Le personnage me ait un peu penser à toi…
– Ah ouais ? C’est un connard ?
Elle me sourit. Direct, ’ai envie de l’embrasser. Et e sens bien qu’elle va pas me eter si e le ais. Mais e peux pas, putain ! C’est la meu de Sylvain. Il dort uste au-dessus. Et puis, c’est chelou parce que c’est pas du tout mon genre de gon esse. Moi, ’aime bien les
brunes avec des ormes. Elle, c’est une grande blonde toute ine. Rien à voir. Mais ’ai quand même grave envie de l’embrasser. Alle putain, uste un baiser, ça ait rien. Il le saura amais, Sylvain.
Je me penche vers elle et e l’embrasse. On se roule une vraie pelle et ça me ait un e et de ou . Une décharge d’adrénaline. Elle pose ses bras autour de mon cou et glisse ses doigts dans mes cheveux. Je l’attire contre moi en passant ma main dans son dos. C’est bi arre, de sentir son corps tout rêle sous mes mains. C’est nouveau. J’ai du mal à me retenir de les glisser sous son long tee- shirt. Elle sent bon, putain. J’ai envie d’elle de dingue mais e pense à Sylvain. J’arrête tout et e me lève. Je vais à l’autre bout de la pièce. Le plus loin d’elle possible.
– Putain ! Désolé, e sais pas ce qui m’a pris.
– C’est pas grave… e…
Elle a l’air vexée. Elle prend son bouquin et se lève.
– Je vais remonter, bonne nuit Mike.
– Bonne nuit.
C’est tout ce que e trouve à dire. Quel bouffon. En vrai, ’ai tellement envie qu’elle reste et qu’on baise là, sur ce putain de canapé qui doit valoir une blinde. Mais après, e ais quoi, moi, avec Sylvain ? C’est mon pote. Je bosse avec lui tous les ours.
Le lendemain, quand e me réveille, Sylvain et Camille sont dans le salon en manteau.
– Il est quelle heure ? e demande.
Moussa qui avale une cuillère de céréales me répond la bouche pleine.
– Oncheur !
– Ah ouais ? Merde ! J’ai pioncé !
On est là pour bosser. En in, Moussa il est uste là pour être là en vérité. Mais ’aime bien qu’il soit présent. Ça me rassure. Quand
mon daron est mort et qu’on a déménagé dans les tours, Moussa est resté à côté de moi tout le temps. Et ça a été chaud de me aire une place dans le quartier. Il m’a amais lâché. Pourtant, à cette période, ’étais loin d’être le mec avec qui on a envie de passer ses soirées. Sa mère aussi, elle nous a vachement aidés. Elle cuisinait tou ours en plus pour nous quand ma mère était tellement sonnée qu’elle arrivait même pas à se sortir de son pieu. Ça a été super dur pour ma daronne, de devoir quitter notre appart après la mort de mon père. C’était comme si, en plus de la mort de son mari, on lui retirait tous ses souvenirs. Ils avaient vécu quin e piges dans cet appart. On a mangé du ma é pendant un moment.
D’habitude, ’essaie de donner l’exemple en me levant pas plus tard que neu heures, mais là, e me suis endormi sur le matin. Sylvain prend Camille par la taille et ça me met un peu les ner s malgré moi. C’est son mec, il ait ce qu’il veut avec elle mais e peux pas m’empêcher de repenser à ce baiser, cette nuit sur le canapé. Ça me met pas très bien, cette histoire, ’essaie de pas la regarder.
– J’accompagne Camille à la gare, les mecs.
– OK ! e ais en matant dans le rigo.
– Je serai là d’ici une heure max et on s’y met après ?
– Ça marche !
Les autres lui ont la bise. Elle leur a rempli la panse alors maintenant, ils sont comme des toutous avec elle. Je me demande même si Skeem, il essaierait pas de se la aire pour de vrai. Je lui souhaite pas, à Camille parce que Skeem, c’est vraiment un chien avec les meu s. Je veux dire, moi, e suis pas un agneau. Les meu s qui ont les chaudasses, e vais pas les câliner mais si une meu se comporte bien, e la respecte. Je m’adapte. Lui, Skeem, il oue le aux cul genre e suis romantique mais à chaque ois, il ait l’enculé. De toute açon, elle a un mec.
Je la regarde parce que e peux pas aire autrement. Faut que e lui dise au revoir sinon les autres vont trouver ça chelou. Je m’approche d’elle pour lui aire la bise.
– Salut Camille.
Elle me regarde. Ça me ait un truc. Je sais pas quoi exactement mais un truc, c’est sûr et certain.
– Salut Mike.
Quand Sylvain revient, une heure plus tard, il a une sale tronche. Il a pas l’air bien. Je dis rien. Je veux pas l’emmerder. Et ’aime pas les con idences. Il allume les enceintes, l’ordi et les préamplis.
Je lui dis que ’aimerais bien qu’on continue à bosser sur le morceau d’hier.
– J’ai retravaillé le texte cette nuit. Faudrait re aire toute la prise.
– OK !
Je vois qu’il a les yeux rouges et tout gon lés. Fait chier. Je suis obligé de lui demander. Je peux pas aire comme si ’avais rien vu, ça craint.
– Ça va pas, mec ?
– Nan, désolé e… Camille vient de me larguer.
– Ah merde…
Je suis salaud parce que dans ma tête, e suis un peu content, en vrai. Je sais pas pourquoi, même s’ils sont plus ensemble e peux pas me mettre avec l’ex d’un pote, ça se ait pas. Ce serait un bail trop compliqué, elle et moi. Mais savoir qu’elle est plus avec lui, ça me plaît. Ça ait un peu chier quand même de voir Sylvain comme ça. C’est mon pote.
– Je suis pas surpris, ça ait un moment que e le sens. Elle était un peu uyante… Dé à qu’on se voit pas beaucoup avec sa danse à la con !
– Ouais, en même temps, ça va, vous étie ensemble depuis pas si longtemps, non ?
– Presque trois mois… Mais e crois que e suis amoureux, tu vois ?
– Non, e vois pas.
– T’as amais été amoureux ?
– Non… en in si, en primaire, Melissa Gome . La pute, elle m’a mis un gros vent.
– T’es con ! Putain, ça ait chier…
– Y’a peut-être moyen de recoller les morceaux ?
– Non, c’est mort. Elle est pas vraiment amoureuse de moi. Je le sais…
– Je vais t’en trouver, moi, des raclis qui vont te aire oublier ta Camille !
Il me ait un petit sourire orcé. Je vois bien qu’il a grave les boules.
J’ai pas envie de continuer cette discussion. J’ai l’impression d’être un traître avec Sylvain et ça me plaît pas. Je suis pas ce genre de gars à tourner autour des meu s des autres. Surtout celles de mes potes.
– Bon, on s’y remet, mec ?
CAMILLE
J’avais tellement peur de lui aire du mal.
J’ai vraiment eu des sentiments pour lui au début. Il en avait peut-être un peu plus pour moi que moi pour lui. Les siens ont continué à grandir et les miens ont commencé à diminuer. Jusqu’à ce eek-end, où tout est apparu évident : Sylvain était devenu un ami. Il allait rompre avec lui avant que même cette amitié ne soit gâchée. J’ai essayé d’amener les choses le plus doucement possible, mais quitter quelqu’un, ça ne peut amais se aire dans la douceur. C’est tou ours violent pour celui qui est abandonné. Quand e lui ai dit que nous deux, ça le aisait plus et qu’il valait mieux arrêter là, il m’a regardée avec ses yeux bleus un peu rougis et ’ai baissé les miens. Je me sentais honteuse de aire tout ce mal à un garçon si gentil qui cochait tellement de cases. C’est in uste, l’amour. Et e ne sais pas si c’est vraiment ait pour moi.
– Je le savais, depuis quelque temps, e te trouve tellement… loin.
– Je suis désolée, Sylvain. T’es un mec super… et ’aurais vraiment aimé que ça marche entre nous. Mais e sais pas…
– Moi e sais, Camille.
Il m’a serrée ort dans ses bras, a déposé un baiser sur mon ront et est parti. Je suis montée dans le train sans me retourner. Je ne pouvais plus le regarder, ça me endait le cœur. J’ai cherché mon siège dans le agon. Il y avait un homme d’une soixantaine d’années assis à ma place. Un genre de gentleman- armer, l’air placide. Je lui ai demandé s’il était bien à la 11C et il m’a répondu que oui. On a comparé nos billets et e me suis rendu compte que e n’étais pas dans la bonne voiture. Ça m’a ait pleurer. Il m’a demandé si ça allait. Non, ça n’allait pas, pas du tout, même. Je venais de quitter un mec super après avoir embrassé un de ses meilleurs potes. Dans son dos. Ce baiser avec Mike, ça m’a tellement chamboulée. Je crois que e l’attendais. Inconsciemment, e l’attendais.
Le monsieur m’a dit, en voyant ma mine décon ite : « Ça va s’arranger, mademoiselle. Ça init tou ours par s’arranger. » Il avait la classe, ce mec. Comme Sylvain. La vraie classe.
Toute cette élégance, c’était trop. Je me sentais moche. J’aurais pré éré qu’il m’envoie bouler. Qu’il passe ses ner s sur moi. Comme ’aurais pré éré voir Sylvain réagir comme un con, pour pouvoir le détester, lui, plus que moi. Parce que e me détestais vraiment, à ce moment précis. J’aurais voulu être en colère plutôt que de me trimballer cette tristesse. Cette culpabilité. J’aurais pré éré que ce soit lui qui me ette.
MIKE
C’était vraiment un bon concert. J’étais bien dedans et pas trop dé oncé, pour une ois. J’ai tendance à orcer un peu sur la dose avant de monter sur scène. Ça aide. Mais là, ’ai été plus so t sur la eed et du coup plus lucide, plus conscient. C’était plus lippant, mais plus ort aussi. Y’avait une ambiance de ou , le public était déchaîné.
Dès que e sors de scène, e vais dans la loge le temps que la salle se vide.
Je suis pas encore à l’aise avec le ait que les gens viennent me parler à la in des concerts. J’ai amais été du genre à savoir taper la discute avec n’importe qui. Quand les gens viennent me dire que ma musique est mortelle, c’est compliqué pour moi, bi arrement.
Ça latte mon ego, c’est sûr, mais ça me gêne, e sais pas comment réagir. Depuis que e commence à avoir du succès y’a des gars qui m’arrêtent dans la rue pour prendre des sel ies. Surtout à Al ortville, c’est chelou quand même. Sans parler des meu s qui m’écrivent sur Insta ou T itter que e suis mignon, qu’elles aimeraient bien me rencontrer. Y’en a même une qui m’a carrément écrit des trucs de cul bien trash ! Respecte-toi, meuf, sérieux ! C’est quoi ça ? C’est ou quand ’y pense, c’est pas la vraie vie. J’essaie de
garder la tête roide. Et Molino du Franprix ou ma daronne m’y aident bien.
Les mecs de la maison de disques par contre, ils arrêtent pas de me dire que tout ce que e ais, c’est génial. J’ai l’impression que les gars veulent uste me sucer le sang usqu’à ce qu’il y ait plus rien à becqueter. Ils en trouveront bien un autre après. Je suis pas dupe, tout ça sera de courte durée.
Je retourne dans la salle quasi vide, y’a plus que les mecs qui bossent là et les potes, et d’un coup e la vois de pro il en train de parler avec Sylvain. Je mets un temps à la reconnaître parce qu’elle a les cheveux détachés et que e l’ai tou ours vue avec des sortes de chignons ou des queues-de-cheval. Ils se sont remis ensemble, alors ? Pourtant, il m’avait dit qu’il avait une nouvelle meuf. Elle porte un haut noir très décolleté et un ean qui lui moule bien le cul. Des talons. Elle est sexy. Elle laisse Sylvain pour aller au bar avec sa copine. Ça me ait bi arre qu’elle soit là. Je suis un peu tout excité comme un con. Je vais voir Sylvain qu’est en train d’aider à remballer le matos. Même si c’est pas lui qu’a ait le son, il peut pas s’empêcher d’aider, c’est dans ses gènes. Il enroule des câbles.
– Laisse tomber, mec, t’as pas à aire ça.
– Solidarité de techos !
– Je te ile un coup de main alors.
J’attrape un des acks dans le tas emmêlé et ’essaie de l’enrouler en rond comme lui mais aut avoir la technique et apparemment, e l’ai pas trop.
– Dis donc cachottier, ’ai vu ton ex tout à l’heure !
– Camille ?
– Ouais, e l’ai aperçue avec toi. Vous vous êtes remis ensemble ? – Non, on est restés potes !
– Ouais, tu veux la rechoper, quoi…
– Ah non, pas du tout, e t’ai dit, ’ai une nouvelle copine, Fanny ! C’est sa meilleure pote, c’est pour ça que Camille est là. Elles sont au bar toutes les deux. Tu vois ?
Il ait un signe de tête pour me les montrer.
–La petite brune super mignonne avec la range, c’est Fanny. C’est une DJette. Faut que e te la présente. Elle mix plutôt électro mais elle est vraiment douée.
– Vous ave pas traîné, tous les deux. En mode chacals ! C’est pas chelou, d’être avec la meilleure pote de ton ex ?
– Non ranchement. Et puis, on n’a pas ait exprès tu sais. Ça nous est tombé dessus. Je l’ai revue sur une soirée où elle mixait, e aisais le son. On a vachement discuté, elle est super calée en ik. Après ça, on s’est ait quelques sorties, ’ai essayé plusieurs ois mais elle m’a eté par rapport à Camille. Je voyais bien qu’elle me ki ait quand même. Et puis voilà quoi… ça s’est ait. C’est tout.
– Camille, elle a pas dû apprécier quand même.
– Franchement ? Elle s’en out complètement. C’est limite vexant.
Il se marre.
– Et puis techniquement, ’ai rencontré Fanny avant Camille. Je l’ai sonorisée une ois au Rex… Je sais pas pourquoi, mais ’étais passé à côté.
– À cause de Camille, tiens !
– Peut-être, mais au inal, ça colle mieux avec Fanny qu’avec Camille.
– Eh ben tant mieux, mec !
Je lui tape sur l’épaule. Les deux illes nous regardent. Elles arrivent vers nous. Camille me lâche pas du regard. Et moi, ’arrive pas non plus à la lâcher.
– Salut Mike.
– Salut Camille.
– Mike, Fanny ! Fanny, Mike !
– Bravo ! C’était vraiment super, ton concert.
– Merci Fanny ! Et toi, t’as aimé, Camille ?
– Carrément !
– Cool.
Il doit y avoir cinq bonnes secondes qui passent sans qu’on se dise un mot.
– Bon, bah, e vais vous laisser. Salut !
Et e me casse parce que e me sens comme un abruti, que e cherche des trucs intelligents à dire et que e trouve pas. Je suis pas con et ’ai plutôt une bonne repartie mais cette meu , elle me perturbe. Je suis pas naturel quand elle est là. Et puis, Sylvain et Fanny se roulent des grosses galoches et ça me met mal à l’aise d’être seul ace à elle avec les deux autres qui sont chauds comme la braise.
CAMILLE
Je pensais pourtant avoir mis toutes les chances de mon côté. Tenue, coi ure, maquillage, tout était étudié. Et Fanny m’avait assuré que ’étais canon. Même Sylvain me l’a ait remarquer. Et Mike n’a rien vu. Je crois qu’il ne me voit pas. Après m’avoir embrassée, ’avais dans l’idée qu’il me ki ait un peu… mais c’était il y a deux mois. Pour lui, ça ne voulait sûrement rien dire. Je me suis emballée. Il est plus eune que moi et on n’est pas du tout dans le même délire.
En plus, Fanny m’a dit que Mike, c’était le genre à coucher avec pas mal de illes. Et que son ki , c’était plutôt les Méditerranéennes pulpeuses. Pas vraiment mon pro il. Elle avait un peu cuisiné Sylvain pour moi, l’air de rien.
Quand ’y pense : Fanny et Sylvain ! Je ne les ai pas vus venir, ces deux-là, ranchement. Ça a l’air de vraiment onctionner entre eux. Elle n’avait pas osé me le dire au début. Elle m’évitait depuis un petit moment. Alors e l’ai chopée un soir dans la cage d’escalier pour savoir ce qui n’allait pas, si ’avais dit ou ait un truc qui l’avait contrariée. Elle m’a tout déballé.
Qu’ils s’étaient revus sur un plan où il aisait le son et elle un set. Que, oui, même quand il était avec moi, il lui plaisait bien mais que, non, amais elle n’aurait tenté quoi que ce soit. Qu’au début, ils sont
uste sortis ensemble en « potes » et puis que, inalement, un soir, ils se sont embrassés. Que c’était super ort. Qu’ils partagent la même passion. Qu’ils s’aiment mais qu’elle se sentait mal par rapport à moi. Qu’elle a essayé de lutter sans y parvenir. Une traître. Voilà comment elle se sentait.
En réalité, ça ne m’a rien ait qu’ils sortent ensemble. Rien du tout. J’étais même soulagée parce que ’étais pas très ière de la açon dont ’avais agi avec Sylvain. J’étais contente pour eux. Sincèrement. Et puis, ’avais dé à l’esprit tout occupé par Mike. Depuis ce baiser, e n’arrête pas de penser à lui, comme une gamine. C’est asse pathétique. Donc, même si Fanny m’a vivement conseillé de lâcher l’a aire, il me plaît vraiment et e suis venue ici avec l’intention de tenter le coup. C’est la première ois de ma vie que ’essaie de draguer et, à l’évidence, e suis plutôt nulle.
Pourtant, ce soir, c’est le moment ou amais parce que e sais que e ne suis pas près de le revoir. Je pars pour trois semaines suivre un stage de danse donné par Rodrigue en Espagne. Et à part à un de ses concerts, e n’ai pas beaucoup de chance de recroiser Mike.
Alors, e me lance. Je me dirige vers sa loge. J’espère que e ne vais pas le trouver avec une ille sur lui comme la dernière ois. Je rappe. Pas de réponse. J’hésite. Je inis par pousser la porte et entrer. La pièce est vide.
– En général, si ça répond pas, c’est soit que y’a personne, soit que les gens de l’autre côté veulent pas être dérangés, soit que… Mike se tient derrière moi dans le couloir.
– Ça va, ’ai compris.
– N’empêche que t’es entrée. C’est pas poli. Je croyais que les illes comme toi étaient bien élevées.
– OK, c’est bon… Je m’en vais.
Je ais un pas pour avancer dans le couloir.
– Camille ?
Je me retourne. Et il me demande :
– Tu voulais quoi ?
– Faire l’amour avec toi.
Je ne sais pas pourquoi ’ai dit ça. C’est sorti tout seul. Comme ça. En même temps, c’est un peu la vérité. C’est lui que e voulais. Il recrache la gorgée de bière qu’il venait de mettre dans sa bouche.
– Quoi ? T’as dit quoi ?
– Non rien, laisse tomber.
– Ah nan ! Je peux pas laisser tomber, là.
– OK… Tu me plais. Notre baiser à la maison dans le Sud, ça m’a…
– Notre baiser ?
Il a oublié. La déception me laisse sans voix.
– Je te vanne, Camille, e m’en souviens. Et donc, tu viens ici dans ma loge pour baiser ?
– Je croyais mais c’est une connerie. Pardon…
Je m’en vais. Il me chope le bras. Il me plaque contre le mur et sa bouche attrape la mienne sans la moindre hésitation. On ne m’avait amais embrassée comme ça. C’est doux et violent à la ois. Quand sa langue cherche la mienne, tout mon corps réagit. Il sait y aire, ce petit con. Plus que tous ceux que ’ai connus usqu’ici. J’ai envie de lui avec une orce que e n’avais amais soupçonnée en moi. Comme si mon corps était resté en sommeil usqu’à au ourd’hui et qu’il se réveillait sous ses mains. Je peine à garder un peu de maîtrise de moi-même.
MIKE
J’en reviens pas, qu’elle soit venue usque dans ma loge pour me dire qu’elle voulait aire l’amour avec moi. Texto. Une ille comme elle qui dit un truc comme ça ! C’est le truc le plus sexy que ’aie entendu de ma vie. Alors, e l’ai plaquée contre le mur et ’ai commencé à laisser mes mains courir partout sur elle. Putain, ce qu’elle est pas épaisse ! Normalement, e pré ère quand y’a un peu plus à becqueter sur une nana mais, elle, elle me ait un e et de ou . Je comprends pas. Et puis tout à coup, e me suis dit que, quand même, ’allais pas la sauter, là, dans le couloir c’est pas… en in, elle mérite mieux, quoi.
– On devrait peut-être remettre ça à une prochaine ois, non ? – Quoi ?
Je crois que, là, ’ai grave merdé. Elle doit penser qu’elle me ait pas bander. C’est sûr.
– Comme tu veux, Mike.
Elle me repousse. Y’a de la orce quand même dans ce corps tout rêle. Et elle se barre en quatrième vitesse. Je suis con, e suis trop con. Je sais amais dire les bons trucs au bon moment. Y’a que dans mes textes que e trouve les mots ustes. Je la rattrape.
– T’inquiète. Je te plais pas, ’ai compris. C’est pas de ta aute, tu vas pas te orcer…
– C’est pas ça ! Mais… e sais pas, e voulais pas te baiser comme ça, à la va-vite dans le couloir.
Elle me croit pas.
– OK ! Salut Mike !
– Attends, viens ! On va dans la loge. Au moins on pourra ermer la porte à clé.
– Laisse tomber.
– Camille ! J’ai envie de toi…
Elle me tourne le dos. Je m’approche d’elle. Je passe mon bras autour de son ventre erme et l’embrasse dans le cou. Elle se retourne et me roule une méga pelle. J’ai envie de la sentir le plus près possible. Je la serre plus ort contre moi mais c’est pas asse . Je la veux. Je la prends par la main sans dire un mot et on entre dans la loge. Je erme la porte à clé.
CAMILLE
Ça ait un mois que e n’ai pas de nouvelles de Mike. Depuis qu’on a ait l’amour dans sa loge. En in, lui, il dirait sûrement « depuis qu’on a baisé dans la loge ». Le lendemain, e partais en Espagne. Je ne lui ai pas demandé son numéro. J’y ai pensé. Je n’ai pas osé. Et lui ne me l’a pas demandé non plus. Il aurait pu le trouver sans di iculté avec Sylvain. C’est ce que ’ai ait, moi. J’ai demandé son numéro à Sylvain dès le lendemain. Il n’a pas été surpris, d’ailleurs. Je crois qu’il avait capté depuis le début qu’il y avait un truc avec Mike. Ou c’est Fanny qui a vendu la mèche mais ça m’étonnerait.
J’ai enregistré son numéro dans mon téléphone et plein de ois, ’ai ailli l’appeler. Mais e ne l’ai pas ait, c’est dé à moi qui lui ai ait des avances, e ne peux pas en plus le relancer. Ça m’a donné des ailes, d’avoir ait l’amour avec lui. C’était tellement ort. Il a été tendre, plus que ce que ’avais imaginé. Son expérience mani este m’inquiète un peu mais il m’a gardée dans ses bras un petit moment sur le canapé de la loge avant qu’on se sépare. Si ce canapé pouvait parler, il en raconterait de belles à mon avis.
Mon stage s’est bien passé. J’ai découvert une autre açon de danser le classique là-bas. Plus charnelle, plus sensuelle. Cette expérience m’a ait me sentir plus emme, plus belle, plus libérée.
Rodrigue m’a même élicitée, ce qui est su isamment rare pour que e le souligne. Je dois peut-être un petit peu de cette libération à Mike aussi.
J’ai rencontré une ille sympa, Maria, une danseuse espagnole qui parle très bien rançais. Je partageais ma chambre avec elle. Et on a tout de suite accroché. Comme e ne la connaissais pas, e me suis un peu lâchée sur les con idences. Mon naturel réservé avait déserté. Je lui ai raconté toute l’histoire, que ’avais le béguin pour un rappeur qui vient des cités et qui a quand même quatre ans de moins que moi, que e me suis littéralement etée sur lui, même si c’est lui qui m’a embrassée le premier, que c’est la première ois de ma vie que e ais ça et qu’il me manque dé à. Que e ne suis pas sûre de le revoir. Elle m’a écoutée sans broncher, en acquiesçant de temps en temps de la tête. Puis elle m’a raconté qu’elle aussi était sortie avec un garçon plus eune et que ça n’avait pas du tout marché parce qu’il était trop immature. Il ne pensait qu’à aire l’amour, la ête et boire. Incompatible avec la danse classique. Et que, quand on ne vient pas du même monde, c’est souvent plus compliqué qu’on ne le croit. Pour preuve, sa tante avait dû divorcer parce que son mari, qu’elle aimait ollement, ne supportait plus qu’elle soit plus riche que lui, plus diplômée. Il s’était remarié avec une ouvrière comme lui et sa tante avec un notable comme elle. Et, bien sûr, chacun était plus heureux comme ça. Elle m’a ait redescendre vite ait de mon petit nuage, Maria. Elle m’a donné un dernier coup en me disant qu’elle pensait que ce n’était pas bon signe, qu’il ne me rappelle pas. La prochaine ois, e ré léchirai à deux ois avant de me con ier à quelqu’un que e connais à peine. Vous pouve tout dire à une inconnue mais le risque, c’est qu’elle réponde sans iltre.
Dans l’avion du retour, ’oublie vite toutes les mises en garde de ma coloc espagnole et mon cœur s’emballe à nouveau rien qu’à l’idée
de revenir dans le même pays que Mike. De savoir qu’il est là, quelque part. Que e pourrais le croiser par hasard même s’il y a peu de chance. Je vais usqu’à antasmer qu’il m’attendra peut-être à l’aéroport. Je suis les panneaux qui indiquent la sortie après avoir récupéré ma valise et dis au revoir aux illes de mon groupe. Machinalement, e regarde un peu partout mais personne ne m’attend. Et surtout pas Mike.
Je prends un Uber pour rentrer che moi. Pendant que e regarde dé iler les paysages urbains de la banlieue sud, e me dis qu’Orly, c’est pas si loin d’Al ortville. Je suis à seulement quelques kilomètres de lui. Tout me semble poétique avec cette belle lumière de début mai. Le printemps, c’est ma saison pré érée, quand la vie reprend le dessus.
– Alors, comment c’était, ce stage ?
– Super, papa ! C’était super enrichissant. J’ai même eu droit à un compliment de Rodrigue !
Ma mère, qui apporte le ca é, prend la conversation en route. – Oula ! C’est que tu as dû assurer comme une bête !
– J’ai marqué des points et…
Mon téléphone sonne. C’est Mike. Je ne réponds pas. Je ne suis pas préparée.
– Réponds, ma puce ! Ne t’inquiète pas pour nous.
– Nan, quand même, e viens d’arriver. Je rappellerai plus tard. J’ai le cœur qui bat la chamade, l’adolescente qui est en moi reprend le dessus. Comme le printemps sur l’hiver. Il m’appelle le our de mon retour. Je ne sais pas s’il l’a ait exprès mais e m’emballe complètement. Maria est toute petite petite au loin. Elle peut essayer de me casser mon délire, e ne l’entends plus. Je n’arrive pas à me concentrer sur la discussion avec mes parents. Je
inis par prétexter que le voyage m’a atiguée et e ile dans ma chambre.
Il m’a laissé un message.
« Salut Camille, c’est Mike. J’ai appris que t’étais de retour à Paris. Voilà, si tu veux qu’on se capte, rappelle-moi. À plus. »
Bon, ce n’est pas le message le plus romantique du monde, mais ’imagine qu’il est au max, là. Je le rappelle.
– Mike ?
– Yes !
– C’est Camille !
– Ouais, e sais. Comment ça va ?
– Bien et toi ?
– Bien.
J’avais presque oublié comme le contact est rude avec lui. C’est une nouvelle ois à moi de prendre les devants.
– Tu veux qu’on se voie ?
– Pourquoi pas ! Toi, ça te dit ?
– Ben ouais. J’ai quelques ours de repos parce qu’on a travaillé dur en Espagne. Donc si t’es dispo dans les trois ours qui viennent, ça peut le aire.
– Demain e peux pas et mardi non plus mais mercredi, c’est bon. Je serai au studio mais on peut arrêter plus tôt. On se dit par texto où et quand ?
– Ça marche !
Il m’a donné rende -vous dans un resto qui ne lui ressemble pas du tout. Un truc genre bar à tapas branché. Il m’attend devant en umant une clope. Les cheveux attachés sous une casquette. Un s eat gris uni. Un ean noir. Pas d’e orts particuliers. Adossé au mur, il ressemble à un co -boy des temps modernes. Je pense à Steve McQueen dans Au nom de la loi. Je suis probablement la seule ille
de ma génération à connaître cette série. J’aime trop les esterns, ça doit être une sorte de déviance.
Quand ’arrive vers lui, e ne le sens pas super à l’aise. Ce n’est pas son truc, d’emmener des illes au resto, ça se voit tout de suite. Il écrase sa clope par terre avec sa basket. Comme e ne sais pas si on est censés sortir ensemble ou pas, e lui ais la bise. Il n’a pas l’air surpris. Je retrouve son odeur, il sent bon. Je ne sais pas ce que c’est, son par um, mais il y a du musc dedans. Je m’attarde une demi-seconde dans le creux de son cou sans qu’il s’en aperçoive.
Ça me plaît, qu’il m’ait proposé qu’on se asse un resto, qu’il en choisisse un, qu’il asse cet e ort pour moi. Je le connais à peine mais e sais dé à que ce n’est pas le genre à se donner beaucoup de mal avec les illes. Clairement pas romantique.
On est assis depuis un bon quart d’heure à table. Gênés. On ne sait pas trop quoi se dire. Il regarde son téléphone toutes les deux secondes et e ais semblant d’être absorbée par le menu. Je inis par rompre le silence.
– Alors, Mike ? Tu me parles un peu de toi ?
– Tu veux savoir quoi ?
– Hum… C’est quoi, ton nom de amille, pour commencer ? Il se marre.
– Sérieusement ! J’ai pas pour habitude de coucher avec des mecs dont e ne connais même pas le nom de amille. Je sais pas pour qui tu vas me prendre, d’ailleurs, mais bon… Je suis pas du tout ce genre de ille.
– Quel genre ?
– Tu vois… Qui couche comme ça avec des mecs…
– Karavic, mon nom, c’est Karavic – Ça vient d’où ? De Roumanie ? – T’es ou ! Je suis pas roumain !
– Y’a pas de honte !
– Peut-être, mais e suis pas roumain. Mon daron vient du Monténégro.
– C’est où, ça ? En Amérique du Sud ?
– Nan, rien à voir, mais t’inquiète, personne sait où c’est. En ait, c’est entre la Serbie, la Bosnie et l’Albanie. Par là…
– Ah OK ! Que des pays tranquilles, en somme ?
– Exactement, c’est pour ça que mon père est venu en France. Il est arrivé ici quand il avait mon âge à peu près.
– Et tu y vas, des ois, toi, au Monténégro ?
– Avant, ouais.
– Tu ais pas du tout mec des pays de l’Est…
– Ouais, e sais, mais dé à, dans ce coin-là, c’est pas trop les blonds aux yeux bleus, c’est des Slaves du Sud, et en plus ma mère, elle est d’origine italienne. Du sud de l’Italie. C’est pour ça, que ’ai la peau mate. Et toi, c’est quoi ton nom ?
– Mayer…
– Camille Mayer… Ça sonne bien ! Alors t’es quoi ? Allemande ? – D’origines mais lointaines… Les grands-parents de mes grands- parents du côté de mon père.
– C’est pour ça que t’es blonde, alors ?
– Tu dis ça comme si c’était bi arre d’être blonde.
– Nan, mais disons que ’en connais pas beaucoup… des vraies blondes, e veux dire !
Il boit une grande gorgée de la bière que la serveuse vient de poser devant lui. Je vois bien qu’il ait son possible pour pas la mater. Elle lui plaît, c’est sûr. C’est le style latino sexy avec un décolleté plein de promesses. Je lui demande sur un ton qui se veut léger.
– C’est ton genre ?
– Quoi ?
Il ait le mec qui ne voit pas du tout de quoi e parle.
– La ille, là, la serveuse. J’ai vu que t’essaies de pas la mater depuis tout à l’heure.
– De quoi ? Mais vous êtes pas croyables, les meu s… On se ait engueuler si on mate une nana et pareil si on la mate pas parce que c’est genre on se retient de la mater. Vous êtes ou !
– Je t’engueule pas, Mike. Je sais même pas si on sort ensemble. Je te demande uste si c’est ton genre, pour discuter, quoi.
– Nan, nan, nan… Tu m’auras pas, e tomberai pas dans ton piège.
– Quel piège ?
– Tu sais ! Si e te réponds oui, tu vas me saouler en mode « Ah ouais alors moi e suis pas ton genre » et si e te dis non, tu vas me saouler parce que soi-disant, e te dirais pas la vérité. Je connais le game…
– Donc c’est ton genre…
– Putain, Camille ! Oui, c’est mon genre. J’aime bien les brunettes avec des gros seins et un bon boule ! T’es contente ?
Même pas mal ! Je donne le change.
– Pas trop, non ! Sachant que e suis une grande blonde et que ’ai des petits seins.
Il me ait son sourire ravageur, celui qu’il m’avait adressé un matin à la villa, dans le Sud. Il se penche vers moi.
– Je les aime bien, moi, tes petits seins. Ils sont pile calés pour mes mains.
– T’en as tenu beaucoup d’autres, depuis ?
Il ne me répond pas, ça veut sûrement dire un sacré paquet. J’avale tout rond l’in o.
– Toi non plus, t’es pas mon genre, de toute açon !
– Ah ouais ? T’aimes bien les petits blonds au crâne rasé, c’est ça ?
– Exactement ! Pile poil. Et s’ils peuvent être un peu gras, alors là, e résiste pas.
Il sourit. J’ai soudain une envie très orte de l’embrasser mais e suis résolue à attendre que ce soit lui qui le asse.
Il me parle de sa musique, me raconte comment les mecs de la maison de disques lui ont mis la main dessus. Comment va être son album. Il parle un peu de ses potes. Je lui raconte mes cours en Espagne, ma vie à l’Opéra, le prochain ballet qui arrive bientôt. Deux heures passent à la vitesse de l’éclair. Je vois bien qu’il n’a pas envie de décoller. J’ai l’impression qu’il gagne du temps. Je inis par accélérer la sortie.
– On bouge ?
– Ouais, tu veux aller boire un verre…
Il a l’air gêné.
– … che toi ?
Je ais une grimace.
– Disons que… ’habite che mes parents.
– Sérieux ? Merde ! Moi aussi.
Il ait craquer ses doigts avec son pouce. Il est saoulé.
– Y’a bien mon studio, mais ça ait un peu loin.
Je m’en iche que ça asse loin. J’ai envie de rester avec lui mais demain, ’ai répétition à huit heures et demie. Al ortville, c’est pas ouable.
– Ouais, ’ai répète tôt demain en plus.
– Fait chier !
MIKE
Ça ait vraiment chier. Je pensais qu’elle avait son propre appart, qu’on aurait pu aller che elle et passer la nuit ensemble. Je suis vraiment une baltringue de pas avoir prévu le coup. Je m’attendais pas à ce qu’elle vive encore che ses parents, vu qu’elle est plus âgée que moi et qu’elle a un vrai ta . Va alloir que e l’abandonne là, à la sortie de ce resto bobo à la con. Pourquoi ’ai écouté Sylvain, sérieux ? Je lui avais bien dit, pourtant, « un truc normal ». Je lui ai pas dit que c’était pour Camille mais uste pour une meu que e venais de rencontrer. C’est le seul à qui e pouvais demander un truc pareil sans qu’il se oute de ma gueule. Mais son plan, c’était une espèce de truc branché avec que des bou ons dedans. Heureusement, maintenant que le rap est devenu tendance, les bourges commencent à s’habiller açon street. Survêt, baskets. On voit moins la di érence. Je aisais pas trop tache dans le décor.
En tout cas, elle a eu l’air de bien aimer. Et de toute açon, e pouvais pas l’emmener au kebab comme avec Coralie.
On marche un peu vers son métro. Moi, e suis venu avec le scoot de Mouss. Elle me regarde avec ses grands yeux verts.
– Bon… On se dit au revoir ici, alors ?
Fait chier.
– Ouais.
Je suis comme un con avec mes mains dans la poche de mon s eat. Elle a une espèce de truc brillant sur les lèvres et toute la soirée, ’ai eu envie d’y goûter. Je me lance et e l’embrasse. Je l’attrape par la taille. Elle se laisse aire. Je peux pas m’empêcher de la peloter un peu. Et là aussi, elle se laisse aire. Quand elle m’a demandé si ’avais tenu d’autres paires de seins entre mes mains, ’ai pas répondu. Je lui ai pas dit que ’ai pas tiré d’autres meu s depuis qu’elle est partie aire son outu stage. Je veux pas qu’elle croie que e suis en mode accro ou quoi. Coralie a bien essayé de me chau er à la soirée de Mehdi mais ’ai réussi à prendre sur moi. Et c’était pas acile, parce que Coralie, elle a des arguments. Des vrais. C’est pas que e voulais être idèle à Camille vu qu’on a couché qu’une ois ensemble mais disons que c’est le genre de ille avec qui tu peux vite te cramer. Et e sais pas. C’est pas le genre… coup d’un soir.
Elle me regarde droit dans les yeux. Elle me rend dingue avec ses yeux.
– On essaie de se voir plus tard, alors ?
– Ouais, carrément…
Je lui proposerais bien l’hôtel mais c’est pas trop dans mes moyens et e peux pas l’emmener dans un hôtel pourri. Ça va être glauque. Et puis, elle va penser que e veux uste la tirer. Ce qui est partiellement vrai mais pas que.
Je la laisse iler.
Je monte sur le scoot. J’ai pas envie de rentrer che moi. J’envoie un texto à Mouss pour lui dire que e vais au stud.
Quand ’arrive sur place, il m’attend assis sur la marche en ciment devant la porte d’entrée, en train de umer un bédo avec Skeem.
– Yo les mecs ! Tranquille ? Qu’est-ce que tu ous là, Skeem ?
– Je traînais au Di ane avec Moussa, et comme ’ai une prod de ou à vous aire écouter… me voilà devant toi ! Vous alle trop ki er, les gars. C’est du lourd ! Si avec ça, on ait pas disque d’or, e comprends plus rien !
– Tou ours aussi modeste !
– Tou ours ! D’ailleurs, y’avait Jalil qu’était là avec sa clique de bou ons. Y m’a ciré les pompes genre que si e aisais pas tes prods, tu erais rien. Bon, évidemment, e suis complètement d’accord avec lui sur ce point mais quand même… Le gars arrête pas de baver sur toi, rère. Faudrait que tu le calmes un peu.
– J’en ai rien à outre, de cette baltringue. Le mec rappe même pas, qu’est-ce qu’il vient me aire chier, sérieux ?
Mouss me rappe dans la main.
– Laisse tomber, Mike, ce gars, c’est un tocard !
– Je sais mais c’est vrai qu’il commence à me saouler.
– T’es pas resté avec Camille, inalement ?
Évidemment, ça n’échappe pas à Skeem. Il a trouvé un truc plus excitant que l’embrouille avec Jalil à se mettre sous la dent.
– Camille ? L’ex de Sylvain ? Nan ! Tu te la ais, gros ?
Je lance un regard noir à Mouss en ouvrant la porte. Il était censé ermer sa gueule sur le su et. Il essaie de se rattraper.
– Il se l’est uste aite à un concert…
– Alors, inalement, tu te l’es tapé, le sac d’os ! Que soi-disant, elle est pas baisable, qu’on a des drôles de goûts avec Mouss. T’es un cachottier, ils de pute !
– Ouais, e sais pas… Je l’avais sous la main, voilà ! Je l’ai tirée, on va pas en aire un plat.
– Alors ?
– Quoi « alors » ?
– Elle est bonne ou pas ?
– Nan… Je l’ai sautée parce que ’avais la dalle, c’est tout !
– Tu me la prêtes, alors ? C’est mon antasme, moi, de me taper une danseuse.
– Bon ! Tu nous ais écouter ta prod, là ?
Il se pose sur le canap mais il lâche pas l’a aire.
– Paraît qu’elles sont hyper souples. Et moi, elle me plaît, la maigrichonne. Je la trouve classe. Et tu dois pouvoir tenter des trucs, des positions cheloues.
Je ais le mec qui s’en out mais c’est un peu chaud de l’entendre parler de comment il a envie de se taper Camille. Moussa, qui me connaît par cœur, voit que e suis en train de bader et qu’il su it d’un mot de plus pour que ’en mette une à ce ils de pute de Skeem, même si c’est un de mes meilleurs potes.
– Alle ! Balance ton son, mec ! Si c’est de la balle, Mike pourra poser dessus ce soir.
Skeem s’adresse à moi.
– OK, OK… Mais tu me ileras son tél ? À moins que tu sois en mode « e la ki e ».
– T’es ou !
– Alors vas-y, donne !
Je lui envoie le numéro de Camille par texto pour me débarrasser du su et.
– Maintenant tu l’as, c’est bon ? Tu nous ais écouter ton truc ? Mouss a les yeux qui lui sortent de la tête.
On écoute l’instru de Skeem et c’est vrai que c’est mortel. Direct, ça me donne des idées. Je gratte sur mon tél les premiers lyrics qui me viennent.
Quand Skeem se barre, Mouss revient direct sur l’épisode Camille.
– Qu’est-ce que tu ous, Mike ? Tu lui iles le numéro de ta meu ? Il va l’appeler, tu sais ?
– Je crois pas. Il veut uste savoir si c’est genre e sors avec elle. Je le connais par cœur. Il blu e. Toute açon, elle l’enverra chier. Je pré ère ça plutôt qu’il m’emmerde tout le temps avec elle et qu’il crie partout que ’ai une histoire avec une bourge !
– C’est risqué, quand même. Il est ort en meu s, Skeem.
– Bon, ça va, Mouss ! Et puis, c’est pas vraiment ma meu . On peut passer à autre chose ?
Je sais que Skeem l’appellera pas.
CAMILLE
Comme d’habitude, ’arrive à la bourre et comme d’habitude, e me ais engueuler par Fanny qui ne supporte pas le moindre retard. Même cinq minutes, ça la rend hystéro. C’est bi arre, qu’une ille aussi cool dans la vie soit aussi tendue sur ce su et. Ça ne colle pas avec le reste de sa personnalité. C’est elle qui devrait être le genre à arriver en retard et moi à être tou ours à l’heure. Je commande un ca é à Didier en passant devant le bar et e m’assois à notre table habituelle, ace à ma copine en rogne. On a notre petite routine dans ce bistro. C’est uste en bas de che nous. On y va ensemble depuis qu’on est ados. Ça a changé deux ois de patron mais le serveur, notre légendaire Didier, c’est tou ours le même. Un Highlander. On est ses clientes pré érées. Il nous le répète, sans se lasser, à chaque ois qu’on met les pieds dans son troquet. Quasiment toutes les semaines depuis dix ans.
– Jamais t’arrives à l’heure, quoi.
– Dix minutes, ça va !
Je pose mon gros sac de danse sur une des chaises vides de la table voisine.
Fanny regarde sa montre et ait la moue en levant les yeux au ciel.
– Pas dix minutes ! Un quart d’heure plutôt. Je comprends pas qu’une meu aussi disciplinée que toi soit tou ours en retard ! C’est dingue, non ?
– T’exagères Fanny ! C’est pas ma aute, Rodrigue nous a gardés à la in du cours pour nous parler de la prochaine pièce. Ça m’a saoulée parce que e savais que t’allais m’engueuler et puis t’imagines pas comment ’avais trop hâte que tu rentres ! J’ai plein de trucs à te raconter… C’était bien, ton eek-end à la campagne ? – Chiant à mourir. Sylvain n’a pas pu venir. J’étais avec ma mère
et ma cousine. Chiant ! Chiant ! Chiant ! Dis-moi pour Mike, plutôt. Ton texto, là, « Je te raconterai », c’était trop énigmatique !
– T’en étais où, de l’histoire ?
Didier dépose une tasse de ca é umant devant moi avec deux mini-madeleines posées sur la soucoupe, il sait que ’adore ça. Je le remercie pour sa petite attention et replonge aussitôt dans ma conversation avec ma copine.
– J’étais restée à l’invit au resto. Alors ? Ça a donné quoi ? Sexe, amour et volupté ?
Fanny lève ses sourcils à plusieurs reprises pour souligner le côté grivois de sa question.
– Nan, pas grand-chose en ait. En in si, la soirée avec lui, c’était vraiment chouette mais pas trop de sexe, ni de volupté…
– Pourquoi ? Il a pas bandé ?
– Mais non, t’es con ! Il pensait que ’avais un appart, il vit che ses parents, tu vois, quoi ?
– Les deux losers !
– Grave…
– Et l’hôtel ? Ça existe !
– Il a pas les moyens, e pense, et puis ’allais pas proposer. C’est dé à moi qui lui ai sauté dessus la dernière ois. Je veux pas non plus
qu’il pense que e suis une nympho !
– Ça m’étonnerait qu’il pense un truc pareil. Et vous vous êtes pas revus depuis ? C’était y’a genre deux semaines, non ?
– Ouais, c’est ça, dix ours. Il m’a proposé de venir à son studio la semaine dernière mais c’était pile le soir de la répète générale. Et depuis, plus rien… Il s’est peut-être dit que e voulais pas ou c’est lui qui veut plus.
– Merde. T’es comment, toi ? Tu le ki es tou ours ?
– Grave… J’arrête pas de penser à lui, pour tout te dire ’ai même élaboré un plan pour le revoir.
Je me pince les lèvres parce que ’ai un peu honte de ce que e viens de dire. Comme une petite ille qui vient de balancer une bêtise.
– Dis donc, e sais pas ce qu’il t’a ait mais t’es motivée ! Ça doit être un sacré coup ! Je t’ai amais vue comme ça. C’est quoi, ton plan ?
– Hyper simple. Tu organises une soirée che Sylvain. Il invite Mike et toi, tu m’invites, moi.
Je inis ma phrase avec un tada ! en ouvrant les mains. Ma copine me regarde d’un air ahuri. Et reste quelques secondes en arrêt sur image.
– Ah ouais ! T’es en mode adolescente, en ait ?
– Un peu… Mais c’est un plan qui tient la route, non ? Ça ait comme si on se revoyait naturellement. Sinon… t’as capté le genre de mec que c’est. Même s’il s’intéresse à moi, il va pas me courir après. Et comme ’aimerais bien garder un semblant de dignité dans cette histoire…
Elle plisse les yeux pour ré léchir et semble soudain avoir été touchée par un éclair de génie.
– J’ai un set au Rex dans deux semaines. Si tu veux, ça pourrait être l’occasion.
– Par ait ! J’aurai le temps de virer mes parents pour le eek- end…
Je lui ais mon sourire maxi ormat. Elle y répond vaguement puis plonge les yeux dans sa tasse à ca é. Elle remue sa cuillère avec attention comme si c’était une tâche qui demandait beaucoup de minutie.
– Heureusement que t’étais pas comme ça avec Sylvain. Si tu l’avais ki é comme tu ki es Mike, tu serais peut-être encore avec lui au ourd’hui.
Je soupire. J’aime pas quand elle évoque ma relation avec Sylvain. Je redoute tou ours qu’il y ait un malaise entre elle et moi à cause de ça.
– Fanny…
Elle relève la tête.
– Bah quoi, c’est vrai !
– Non, c’est pas vrai. Sylvain, il est vraiment amoureux de toi. Avec moi, il essayait de se convaincre qu’il l’était, mais c’était clairement pas de l’amour.
Elle pointe sa cuillère vers moi d’un air soupçonneux.
– C’est exactement ce qu’il m’a dit ! Presque mot pour mot. Vous ave répété ou quoi ?
– T’es dingue ! Par contre, c’est vrai qu’on s’est parlé la semaine dernière.
Ma dernière phrase lui ait lâcher sa cuillère. Le son métallique résonne sur le carrelage.
– Quoi ? C’est quoi cette histoire ? Pourquoi tu me le dis que maintenant ?
– T’emballe pas, Fanny ! J’avais promis de me taire mais bon, ma pote d’abord ! Il m’a appelée pour me parler de toi. Vous vous étie embrouillés…
– Ouais, à cause de ce outu eek-end à la campagne. Des ois, e peux être excessive…
– À peine… En tout cas t’as dû y aller ort, parce qu’il était inquiet. Il a ait genre de rien, e t’appelle normal pour prendre des ne s alors qu’il le ait amais. Le vrai moti de son appel, c’était de savoir si e pensais que tu avais des sentiments pour lui. Et si t’avais pas dans l’idée de le larguer.
Ses yeux s’écarquillent en méga grand.
– Oh putain ! Il est vraiment amoureux de moi, tu penses ?
– Ah non e pense pas ! J’en suis sûre et certaine. Il te l’a amais dit ?
– Si… mais tu me connais. Je roule des mécaniques alors qu’en vrai, ’en mène pas large.
Je vois dans les yeux de ma pote tout le bonheur que lui procure cette in o et e ne regrette pas une seconde d’avoir trahi la promesse de silence que ’avais aite à Sylvain. Fanny est toute reboostée.
– Bon, Sylvain, c’est ait, maintenant aut qu’on résolve le problème Mike.
Je prends mon air « sois sincère avec moi ».
– Tu crois que c’est une connerie, que e devrais me reiner un peu ?
– Pour être ranche, puisque tu me le demandes, e te voyais pas avec un gars comme ça et ’ai un peu peur que tu mor les parce que t’es ma rangine et que lui… c’est un… e sais pas… c’est un mec des cités. Il est dans le rap à ond et en plus, e sais qu’il se tape pas mal de illes.
– Ah ouais ! Carrément ! Tu veux me déprimer, là ?